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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 45e Législature
Volume 154, Numéro 11

Le lundi 16 juin 2025
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le lundi 16 juin 2025

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Conformément à l’ordre adopté le 12 juin 2025, je quitte le fauteuil pour que le Sénat se forme en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada. L’honorable sénateur Cormier présidera le comité.

Projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne

Étude de la teneur du projet de loi en comité plénier

L’ordre du jour appelle :

Le Sénat en comité plénier afin de recevoir l’honorable Chrystia Freeland, c.p., députée, ministre des Transports et du Commerce intérieur, accompagnée d’un maximum de trois fonctionnaires, ainsi que tout autre témoin déterminé conformément au processus établi dans l’ordre, afin d’étudier la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

(La séance est suspendue et le Sénat se forme en comité plénier sous la présidence de l’honorable René Cormier.)


Le président : Honorables sénateurs, le Sénat s’est formé en comité plénier pour étudier la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

Honorables sénateurs, durant un comité plénier, les sénateurs s’adressent à la présidence, mais ne sont pas obligés de se lever. Conformément au Règlement, le temps de parole est de 10 minutes — questions et réponses y comprises — mais, tel qu’il est ordonné, si un sénateur n’utilise pas tout son temps de parole, il peut céder le temps qu’il lui reste à un autre sénateur.

La liste des témoins confirmés actuellement pour le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-5 aujourd’hui a été distribuée avec les notes de la greffière, et les pages peuvent fournir cette liste aux sénateurs sur demande.

Le comité accueillera en premier lieu l’honorable Chrystia Freeland, c.p., députée, ministre des Transports et du Commerce intérieur. J’invite donc la ministre Freeland à entrer, accompagnée de ses fonctionnaires.

(Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, l’honorable Chrystia Freeland et ses fonctionnaires prennent place dans la salle du Sénat.)

Le président : Madame la ministre, j’ai le plaisir de vous accueillir au Sénat. Je vous invite à présenter vos fonctionnaires et à faire vos observations préliminaires.

[Français]

L’honorable Chrystia Freeland, c.p., députée, ministre des Transports et du Commerce intérieur : Je vous remercie de votre accueil chaleureux. C’est un plaisir d’être ici avec vous aujourd’hui.

[Traduction]

Je suis accompagnée de quelques remarquables fonctionnaires canadiens qui travaillent d’arrache-pied depuis longtemps et qui ont consacré beaucoup d’efforts à ce projet de loi en particulier. Il s’agit de Chris Fox, sous-greffière du Bureau du Conseil privé, ou BCP, de Jeannine Ritchot, sous-ministre adjointe responsable du commerce intérieur au BCP, et d’Arun Thangaraj, sous-ministre au ministère des Transports. J’aimerais remercier tous les fonctionnaires avec qui je n’ai pas l’occasion de parler, mais qui n’ont ménagé aucun effort. Ils incarnent le meilleur du Canada.

Honorables sénateurs, notre pays se trouve à un moment critique. Les droits de douane imposés par les États-Unis frappent notre économie de plein fouet et menacent de plonger l’économie mondiale dans une récession. De vaillants Canadiens perdent leur emploi, des entreprises perdent leurs clients et les investisseurs hésitent à s’engager. C’est pourquoi il est très important pour nous d’aller de l’avant maintenant en mettant en œuvre un projet qui ne coûte rien et qui peut être réalisé d’un simple trait de plume, afin d’instaurer le libre-échange ici même, au Canada.

[Français]

En effet, ultimement, la décision de bâtir une économie canadienne unique, et non treize, est une décision de se faire confiance entre nous. Il s’agit de décider que le délicieux steak que vous mangez à Calgary est sûrement assez bon pour être servi à Charlottetown, et que l’hygiéniste dentaire adorée de ses patients à Moncton peut être considérée comme fiable pour faire le même excellent travail lorsqu’elle s’installera à Québec. L’Australie, un pays avec lequel nous avons beaucoup en commun, a pris la décision de bâtir une économie continentale unique il y a 30 ans. Les Australiens ont décidé de se faire confiance et, au cours des trois dernières décennies, tout cela a enrichi chaque Australien et a renforcé les liens qui unissent ses habitants à leur beau pays.

[Traduction]

Pour le Canada, le moment est venu d’en faire autant. La vague de patriotisme qui a balayé notre grand pays au cours des derniers mois est inspirante et revigorante. Faisons collectivement de cet amour de notre pays un moteur qui nous pousse à faire confiance à nos concitoyens et à créer une économie unifiée dans l’ensemble du Canada.

[Français]

C’est la raison pour laquelle nous avons présenté ce projet de loi.

[Traduction]

Le mouvement prend de l’ampleur d’un bout à l’autre du pays. L’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Ontario, la Saskatchewan et le Manitoba ont déjà adopté des lois supprimant les obstacles qui nuisent au commerce intérieur. La Colombie-Britannique a présenté une loi sur la stabilisation de l’économie. De son côté, le Québec met sur pied sa propre réforme législative.

Le protocole d’entente qui a été conclu entre l’Ontario et d’autres provinces, dont la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba et la Saskatchewan, ainsi que d’autres ententes régionales fortes et résolument tournées vers l’avenir, comme le nouveau partenariat de l’Ouest, dénotent un niveau inédit de coopération et une volonté d’abattre les obstacles qui nuisent au commerce intérieur.

Sénateurs, votre assemblée est moins partisane que la Chambre où je siège. Je suis fermement convaincue que nous ne sommes pas ici devant des objectifs partisans. Il s’agit plutôt de priorités nationales qui sont avantageuses pour toutes les régions, toutes les entreprises et toute la population canadienne. N’est-il pas un savoureux paradoxe que le Canada réagisse à l’imposition de droits de douane étrangers par l’abolition des barrières commerciales intérieures que nous avons érigées entre nous? Abolissons-les enfin une fois pour toutes et permettons la libre circulation des biens et des services dans l’ensemble du Canada.

Je vous remercie de votre attention et je suis prête à répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie, madame la ministre. Nous allons commencer la première ronde de questions. Je rappelle à mes collègues que nous procéderons par périodes de 10 minutes. Je donne d’abord la parole au sénateur Housakos, du Parti conservateur.

Le sénateur Housakos : Madame la ministre, bienvenue au Sénat. L’objectif déclaré de la loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada est d’éliminer les obstacles fédéraux à la libre circulation des biens entre les provinces, à la prestation interprovinciale des services et à la mobilité de la main-d’œuvre au Canada. Pour ce faire, vous choisissez de reconnaître que les normes provinciales satisfont aux exigences fédérales. Ma question est la suivante : quel était l’objectif initial d’avoir des exigences fédérales différentes de celles des provinces et des territoires? Allons-nous nous retrouver à juste faire un nivellement vers le bas en matière de normes de sécurité et de protection de l’environnement et des consommateurs?

(1410)

Mme Freeland : C’est une très bonne question, sénateur. Voici pourquoi le travail a pris autant de temps : aucun des obstacles au commerce n’a été imposé de manière malveillante. Personne ne les a mis en place dans le but de créer des problèmes pour le Canada et la population canadienne.

Cela dit, je pense que nous sommes confrontés à une foule de règles et de règlements qui se chevauchent et qu’il est maintenant temps d’agir. Permettez-moi de vous donner un exemple concret.

Il existe actuellement une exigence fédérale selon laquelle les arpenteurs-géomètres doivent être qualifiés au fédéral. Sans cela, ils ne peuvent pas travailler sur des projets fédéraux. Je pense que le processus de qualification des arpenteurs-géomètres qualifiés de la province de l’Ontario, par exemple, est assez rigoureux. Je suis d’avis que nous réduirions considérablement les tracasseries administratives et réaliserions les projets plus rapidement si nous reconnaissions la qualification professionnelle des arpenteurs-géomètres qualifiés de l’Ontario plutôt que de les forcer à se plier aux exigences du fédéral.

Le sénateur Housakos : Madame la ministre, diriez-vous qu’il y a des moments où le gouvernement fédéral devrait demander aux provinces d’accepter les normes fédérales au lieu de s’en remettre aux normes provinciales?

Mme Freeland : Certainement. Il y a des secteurs que le gouvernement fédéral a le pouvoir de réglementer, mais pas les provinces, surtout dans les domaines comme la sécurité nationale. Dans le cas du tabac, par exemple, qui est une source de préoccupation tout à fait légitime, les règlements fédéraux s’appliquent à la fois à la fabrication, à la vente et à la promotion des produits qui en sont tirés. Aucun règlement provincial ne régit ces aspects-là du tabac, et c’est pour cette raison que cette mesure législative n’aura aucune incidence là-dessus.

Je vous donne un exemple de domaine qui est encadré par une loi fédérale et au sujet duquel cette mesure législative lèvera les exigences fédérales, avec raison à mon avis. Ce domaine, c’est celui de l’efficacité énergétique des électroménagers. À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral a sa norme, et les provinces ont la leur. Si je veux acheter une laveuse, ce que j’ai fait pendant la pandémie de COVID parce que nous avons surutilisé la nôtre, l’appareil de mon choix doit respecter les normes de l’Ontario et de l’État fédéral. Une fois que cette mesure législative sera en vigueur, il suffira qu’un appareil réponde aux normes provinciales pour pouvoir être vendu. Cette façon de faire est particulièrement judicieuse et efficace parce que la plupart de ces appareils sont fabriqués à l’extérieur du Canada, ce qui veut dire que leur efficacité énergétique est déterminée au moment où ils arrivent au pays.

Le système actuel comporte beaucoup de paperasse, et je pense que la situation est la même pour l’immense majorité des obstacles au commerce interprovincial. Il y a un enchevêtrement de règles mises en place par des gens bien intentionnés qui, lorsqu’elles s’additionnent, affaiblissent notre économie. En effet, selon une étude du Fonds monétaire international, ou FMI, l’effet cumulatif des obstacles au commerce intérieur est équivalent à des droits de douane de 7 % que les Canadiens s’imposent à eux-mêmes. Pensez-y un instant. Lorsque des pays étrangers appliquent des droits de douane de 7 % sur nos exportations, nous crions au scandale, à juste titre, alors que c’est exactement ce que nous nous infligeons entre nous au moment où on se parle.

Le sénateur Housakos : J’ai une dernière question à poser avant de céder le reste de mon temps de parole à la sénatrice Batters. Madame la ministre, avez-vous des estimations quant aux économies qui seront réalisées grâce à la loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre?

Mme Freeland : Je peux vous donner des projections faites par des économistes — qui ont étudié la chose en profondeur — sur les retombées qu’aurait l’abolition de l’ensemble des obstacles qui nuisent au commerce intérieur et à la mobilité de la main-d’œuvre sur l’économie canadienne. On les estime à 200 milliards de dollars. Ces retombées pourraient augmenter le PIB du Canada de 2 % à 4 %. Comme je viens de le dire, à l’heure actuelle, nous nous imposons l’équivalent de droits de douane de 7 %.

Maintenant, soyons prudents et francs, comme je cherche toujours à l’être lorsque je m’adresse à vous. Ces retombées ne seront pas immédiates et ne découleront pas uniquement de cette mesure législative. En fait, les obstacles interprovinciaux qui nuisent au commerce et à la mobilité de la main-d’œuvre proviennent surtout des provinces, plutôt que du gouvernement fédéral. C’est pour cette raison que je tenais absolument, dans mon allocution d’ouverture, à rendre à César ce qui appartient à César, c’est-à-dire à féliciter les provinces de prendre les devants. Je crois fermement que le gouvernement fédéral a son rôle à jouer.

Les provinces et territoires font des merveilles. Le projet de loi C-5, c’est le gouvernement fédéral qui leur dit bravo, qui cherche à en faire autant de son côté et qui contribue aux efforts collectifs. Il s’agit finalement de poursuivre sur cette lancée pour faire avancer les choses.

La sénatrice Batters : Madame la ministre, le projet de loi C-5 permet au gouvernement libéral fédéral de contourner les lois fédérales si votre gouvernement décide qu’un projet est « dans l’intérêt national ». Il y a plusieurs années, votre gouvernement a fait adopter de force le fameux projet de loi C-69. Ce faisant, vous avez ignoré les avertissements sérieux non seulement de l’opposition conservatrice, mais aussi, je crois, de tous les gouvernements provinciaux. La Cour suprême du Canada a ensuite déclaré inconstitutionnelle la grande majorité du projet de loi C-69, comme beaucoup d’entre nous l’avaient prédit. Qu’a fait votre gouvernement? Vous avez pris tout votre temps pour proposer une solution législative. Lorsque vous l’avez fait, le nouveau projet de loi C-69, qui avait le même numéro, était inclus dans la loi d’exécution du budget. La mesure législative a été adoptée à toute vapeur par le Parlement, sans débat ni étude approfondis, comme l’a dénoncé le Sénat. Nous n’avons pas eu la possibilité de proposer des amendements à ce que beaucoup considèrent encore comme un projet de loi inconstitutionnel.

Madame la ministre, plutôt que de permettre au projet de loi C-5 de donner à votre gouvernement la possibilité de contourner des lois fédérales très problématiques pour des « projets d’intérêt national », pourquoi ne pas simplement abroger les dispositions issues du projet de loi C-69 une fois pour toutes?

Mme Freeland : Je vous remercie. Comme je le disais, je crois que tous les parlementaires, qu’ils soient à la Chambre haute ou à la Chambre où j’ai le privilège de siéger, ont des points de vue divergents sur plein de choses, et c’est tout à fait normal. C’est ce qu’on appelle la démocratie.

Selon moi, cette mesure législative devrait rallier l’ensemble des sénateurs. À la Chambre des communes, les députés libéraux et les députés conservateurs ont voté ensemble pour mettre fin au débat sur ce projet de loi. Ce que j’en retiens, c’est que les collègues conservateurs qui sont assis de l’autre côté de la Chambre, en face de moi, sont conscients que le Canada est à un moment charnière de son histoire et que le temps est venu de laisser les divisions partisanes de côté et de s’atteler à bâtir le Canada. Je suis fière de faire partie de ce mouvement-là, et j’espère que les sénateurs le seront aussi.

La sénatrice Batters : Voici ma seconde question, madame la ministre : qui parle au nom de la Saskatchewan au Cabinet? La Saskatchewan est la seule province sans ministre en titre. Nous avons seulement un secrétaire d’État et, si on se fie au site Web du premier ministre, il ne siège pas à la table du Cabinet. Qui défendra les intérêts de la province quand le Cabinet libéral devra déterminer si un projet essentiel pour la Saskatchewan est d’intérêt national au sens du projet de loi C-5?

Mme Freeland : Je suis vraiment fière que Buckley Belanger ait été élu député libéral en Saskatchewan. J’ai été très heureuse de passer du temps avec lui et ses concitoyens avant les élections. J’ai parlé avec lui ce matin même de cette mesure législative, qu’il appuie fermement. Il est un secrétaire d’État qui joue un rôle très important dans nos délibérations, notamment en prenant souvent part aux discussions du Cabinet.

J’ajouterais que le premier ministre Moe appuie lui aussi fermement cette initiative. C’est quelqu’un pour qui j’éprouve beaucoup de respect; j’ai trouvé qu’il s’était révélé un excellent partenaire du gouvernement fédéral lorsque tout le Canada a uni ses efforts pour combattre la COVID. Il a été un hôte exceptionnel lorsqu’il nous a tous accueillis à Saskatoon. C’est l’un des premiers ministres provinciaux qui, comme moi, croient fermement que le moment est venu de travailler tous ensemble pour l’édification du pays. J’espère sincèrement que tous les sénateurs de la Saskatchewan et du Canada abonderont dans le même sens.

Le sénateur Loffreda : Madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue au Sénat, encore une fois.

Le Canada se heurte à de graves problèmes de productivité. Dans sa plus récente Étude économique du Canada — publiée il y a trois semaines —, l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, a affirmé qu’il faut en faire davantage pour accroître la productivité du Canada. L’OCDE indique que nos résultats sont inférieurs depuis longtemps aux premiers de classe parmi les pays de l’OCDE et que les tensions commerciales actuelles pourraient aggraver cette situation.

(1420)

Le projet de loi C-5 semble aborder sans détour certaines de ces préoccupations. Comme le souligne l’OCDE, réduire les obstacles aux échanges intérieurs et améliorer la reconnaissance mutuelle des qualifications entre les provinces, de façon à réduire les freins à la mobilité de la main-d’œuvre dans l’ensemble du pays, peuvent contribuer à renforcer la productivité.

Selon vous, quelles seront les retombées du projet de loi C-5 sur la productivité du Canada?

Mme Freeland : Je vous remercie pour votre question, monsieur le sénateur, et pour le précieux travail que vous accomplissez ici depuis de nombreuses années.

Pour ce qui est du volet du projet de loi relatif aux obstacles au commerce intérieur ou, plus précisément, à l’élimination des obstacles au commerce intérieur et à la mobilité de la main-d’œuvre, les chercheurs estiment que si nous nous y attelons — par « nous » j’entends le gouvernement fédéral et les provinces, qui ont aussi leur rôle à jouer —, nous pourrions augmenter la productivité de près de 7 %. Il s’agit là d’un gain considérable.

Ce pourcentage ne tient pas compte des retombées qui découleront de la concrétisation de grands projets. Il est très difficile, monsieur le sénateur, d’évaluer l’ampleur de ces répercussions, car la mesure législative est simplement un cadre habilitant. Aucun projet précis n’y est mentionné, mais je pense que nous conviendrons tous que la réalisation plus rapide de projets d’intérêt national aura des avantages de taille, comme la création d’emplois. Les industries de l’acier et de l’aluminium sont particulièrement malmenées à l’heure actuelle, ce n’est pas un secret. Or, la hausse du nombre de projets de construction au Canada leur donnerait des occasions de vendre leur acier et leur aluminium.

Il s’agit également d’éliminer les goulets d’étranglement critiques au pays. Après tout, le projet de loi C-5 est une loi habilitante; il ne traite pas de projets précis. Cependant, parmi les projets qu’il pourrait rendre possibles, mentionnons le projet de conteneurs du terminal portuaire de Contrecœur. J’en ai discuté avec le premier ministre Legault et nos députés du Québec. Le projet pourrait débloquer de manière significative cet important corridor commercial. Le projet du Terminal 2 à Roberts Bank pourrait, lui aussi, accroître considérablement la capacité du corridor commercial du Pacifique. Par ailleurs, les projets liés au corridor commercial à Saint John pourraient accroître considérablement notre capacité dans l’Atlantique.

Votre question est importante, car il s’agit de bâtir le Canada, d’accroître notre productivité, de créer des emplois et de mettre sur pied des projets pour lesquels notre acier et notre aluminium peuvent être utilisés. Au bout du compte, il s’agit de rendre notre pays plus prospère à un moment où, soyons honnêtes, notre économie est malmenée par les droits de douane.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie de votre réponse.

J’ai une deuxième question. En tant que législateurs, nous sommes nombreux à tenir à ce que les projets de loi comportent des dispositions qui prévoient un examen des nouvelles lois adoptées par le Parlement ainsi qu’un rapport sur la mise en œuvre. Dans le cas du projet de loi C-5, les articles 13 et 24 prévoient un examen de la Loi sur l’unité de l’économie canadienne dans les cinq ans qui suivent la date d’entrée en vigueur de la loi.

Bien que j’appuie pleinement cet examen prévu par la loi, j’ai une question. Outre les exigences législatives, le gouvernement est-il prêt à fournir à la population canadienne des mises à jour régulières dans l’intervalle? A-t-il également envisagé une stratégie de communication publique, comme un site Web connexe ou des rapports d’étape réguliers, afin d’informer la population des projets approuvés et des obstacles précis qui ont été éliminés?

Mme Freeland : C’est une excellente question, qui contient aussi d’excellentes idées.

Parlons du mécanisme d’examen qui est prévu dans le projet de loi. C’est tout à fait voulu. J’ai eu de très bonnes discussions avec le premier ministre Carney sur cet élément du projet de loi.

Comme il en a été question avec le sénateur Housakos, les obstacles au commerce intérieur ne sont pas le résultat de mesures malveillantes des provinces ou du gouvernement fédéral. En fait, ce sont comme les mollusques sur la coque des navires ou, pour rester dans les électroménagers, comme le calcaire dans le lave-vaisselle : ces mesures s’accumulent avec le temps. L’idée, c’est de prévoir un mécanisme qui nous oblige à nous demander si nous n’avons pas, malgré nous, créé des formalités administratives et d’autres obstacles qui nuisent au commerce intérieur, à la mobilité de la main-d’œuvre et à la construction de grands projets au Canada.

Voilà à quoi sert le mécanisme d’examen. Selon moi, il est très important.

Pour revenir à vos propositions, je dois dire que je suis emballée par cette mesure législative. Je crois qu’il s’agit d’un texte historique. Chose certaine, il arrive précisément au moment où nous avons besoin d’une bonne poussée et où de nombreuses régions du pays doivent augmenter considérablement leurs dépenses. Je crois que nous avons tous entendu le premier ministre annoncer la semaine dernière que le gouvernement va consacrer plus d’argent à la défense. Cet argent doit venir de quelque part. Il faut un moteur pour faire tourner l’économie. En tant qu’ancienne ministre des Finances, ce que j’aime particulièrement de cette mesure législative, c’est qu’elle favorisera l’emploi, la croissance et la productivité sans coûter un sou. Comment peut-on trouver à y redire?

Cela dit, même si je la défends ardemment, je tiens à vous préciser une chose, à vous et à tous les Canadiens qui nous regardent ou qui nous écoutent : ce n’est pas la fin du voyage, seulement une étape, au même titre que les lois adoptées par les provinces dont je parlais tout à l’heure.

Les ministres responsables du commerce intérieur des provinces et des territoires et moi-même devrions nous réunir le 8 juillet, une fois que ce projet de loi sera adopté et, j’espère, une fois que les provinces auront fait une bonne partie du travail — elles sont d’ailleurs nombreuses à avoir déjà adopté une ou des lois —, pour discuter de la suite des choses et des façons de poursuivre sur notre lancée.

L’un des trois enjeux sur lesquels je vais mettre l’accent pendant cette réunion est le camionnage. Il devrait être beaucoup plus facile de conduire un camion de Halifax à Vancouver. Nous devons éliminer les exigences contradictoires. L’élimination de ces formalités administratives ne créera pas de gagnants et de perdants, mais uniquement des gagnants. Cela signifiera simplement qu’il sera moins coûteux de transporter des marchandises partout au pays. Je pense donc que nous devons travailler davantage sur le camionnage.

Le logement est un autre de ces enjeux. Nous assistons actuellement à un regain d’enthousiasme pour la construction domiciliaire en général, y compris les logements modulaires. L’un des défis à relever dans ce domaine est que, si l’on veut construire des logements modulaires et fabriquer des éléments de logement en usine, il est extrêmement important de réaliser des économies d’échelle. Nous pouvons réaliser des économies de 40 millions, mais cela nécessitera des normes de construction domiciliaire qui s’appliquent à l’ensemble du pays.

J’en aurai plus à dire, mais je crois qu’on me fait signe que j’ai trop parlé.

Le président : Merci, madame la ministre. Sénateur, vous pouvez partager votre temps de parole avec le sénateur Boehm.

Madame la ministre, avec tout le respect que nous vous devons, nous avons beaucoup de questions, et, bien sûr, de nombreux sénateurs souhaitent poser des questions. Ils vous seraient reconnaissants de bien vouloir leur fournir des réponses succinctes et directes. Merci.

Le sénateur Boehm : Madame la ministre, bonjour, et merci d’être avec nous. Comme nous n’avons pas beaucoup de temps, mes questions seront brèves.

Je voudrais parler surtout du transport ferroviaire. Vous le savez, le siège social de CPKC, qui est issue de la combinaison du Canadien Pacifique et de la Kansas City Southern, se trouve à Calgary. Depuis sa création, la compagnie opère le seul réseau ferroviaire par transporteur unique à s’étendre dans les trois pays de l’Amérique du Nord. Elle emploie 20 000 personnes, et c’est une grande réussite. Elle possède un réseau de 32 000 kilomètres qui permet l’acheminement de tout ce qu’on peut imaginer, des pièces d’automobiles à la potasse, jusqu’au golfe du Mexique, comme on l’appelle encore par ici.

Comment cet immense réseau ferroviaire transnational, vital pour le libre-échange en Amérique du Nord, fonctionnera-t-il dans le contexte du projet de loi et de son objectif visant à favoriser le libre-échange interprovincial? Quel est son avenir face à la conjoncture internationale, en particulier dans le contexte des tensions commerciales entre le Canada et les États-Unis?

Mme Freeland : Merci de cette excellente question. J’ai bien aimé votre référence au golfe du Mexique.

Je suis ici pour répondre à vos questions à titre de ministre du Commerce intérieur, mais je suis très heureuse d’être également ministre des Transports. Il s’agit d’un projet de loi très important pour nos réseaux de transport. J’ai parlé du transport routier il y a quelques minutes à peine, mais il convient de souligner la pertinence de cette mesure législative pour le secteur ferroviaire. Les exigences des provinces sont contradictoires, et avec les mesures prises par le gouvernement fédéral dans ce dossier, nous faisons...

(1430)

Le président : Je m’excuse de vous interrompre, madame la ministre, mais notre temps est écoulé. Nous passons maintenant aux questions du Groupe des sénateurs canadiens. Pour commencer, je donne la parole au sénateur Downe.

Le sénateur Downe : Merci, madame la ministre, pour votre présence aujourd’hui. Pendant la campagne électorale, le premier ministre Carney a souligné l’existence d’un obstacle commercial de taille pour le Canada atlantique, soit les droits de péage excessifs sur les ponts et les traversiers. Il s’est d’ailleurs engagé à les réduire. À quel moment cette mesure de soutien à notre économie sera-t-elle mise en œuvre?

Mme Freeland : J’ai été ravie lorsqu’il a pris cet engagement et je l’ai encouragé, tout comme mes collègues du caucus libéral de l’Atlantique, à suivre cette voie. Nous respecterons nos engagements concernant les ponts et les traversiers. Je ne suis pas en mesure de vous donner une date aujourd’hui, mais je m’engage fermement à faire en sorte que cette promesse électorale soit tenue. Je suis très heureuse à l’idée de la voir devenir réalité.

Le sénateur Downe : Le député libéral Bobby Morrissey a écrit au premier ministre pour lui dire qu’il faudrait réduire ces droits de péage d’ici le 1er juillet. À votre avis, est-ce réaliste? Cherchez-vous plutôt divers moyens de réduire les coûts, comme le rachat de contrats et les allégements fiscaux? Selon vous, quels sont les meilleurs moyens envisagés de faire disparaître, comme je le disais, ces obstacles excessifs qui nuisent au commerce dans les provinces de l’Atlantique.

Mme Freeland : J’ai eu plusieurs discussions avec Bobby ou, devrais-je plutôt dire, avec le député Robert Morrissey, à ce sujet. J’en ai eu aussi avec d’autres députés de l’Atlantique. Je n’ai pas la latitude nécessaire pour vous dire précisément ce que nous allons faire, ni quand, mais je peux vous dire expressément et sans équivoque que nous réduirons les droits de péage comme nous l’avions promis, et je m’en réjouis. Comme mes collègues de l’Atlantique me l’ont dit, les plus grands obstacles au commerce interprovincial, ce sont ces droits de péage. C’est une mesure facile à prendre. Je suis d’accord avec eux. Nous le ferons avec beaucoup d’enthousiasme.

Le sénateur Downe : Pourriez-vous en remercier le premier ministre? Les provinces de l’Atlantique s’en réjouissent grandement.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bonjour, madame la ministre. Bienvenue encore une fois au Sénat.

Pour décider si un projet est d’intérêt national, le gouvernement devra tenir compte de cinq facteurs qui sont énumérés dans le projet de loi. Je remarque qu’il n’y a aucune mention de la participation du secteur privé dans ces projets. Ne croyez-vous pas qu’il serait important d’obtenir la participation du secteur privé pour que ces projets soient financés, afin d’éviter qu’un projet soit financé uniquement par le secteur public?

Mme Freeland : Monsieur le sénateur, je suis heureuse de discuter de nouveau avec vous.

Parmi les facteurs figurant dans le projet de loi, on mentionne que les projets doivent être pratiques, facilement réalisables, et qu’ils doivent être en mesure de renforcer l’économie canadienne. Nous pouvons inclure dans ces éléments la participation du secteur privé, qui est très importante. Vous êtes sûrement au courant de ce que le premier ministre a dit. Nous voulons attirer des investissements du secteur privé au moyen de ce projet de loi. C’est l’une des idées principales.

Le sénateur Gignac : J’aurais pu ajouter le secteur institutionnel, comme les caisses de retraite.

Vous êtes maintenant la ministre responsable d’un projet qui comporte une participation du secteur privé, soit le projet de TGV qui reliera Québec et Toronto — et aussi Windsor, espérons-le. En quoi le projet de loi C-5 peut-il accélérer le projet, attendu que cela prendra de quatre à cinq ans avant que la construction soit finalisée? Le projet de loi C-5 l’accélérera-t-il?

Mme Freeland : J’espère fortement que oui. Le projet de TGV est l’un des projets les plus inspirants dont on discute aujourd’hui au Canada. J’espère que le projet de loi accélérera la réalisation de ce projet.

Aujourd’hui, nos secteurs de l’aluminium et de l’acier sont sous pression face à ce qui se passe du côté des États-Unis. Ces grands projets de construction pourront aider ces secteurs.

[Traduction]

Le sénateur Al Zaibak : Je vous remercie de votre présence parmi nous, madame la ministre. Pourriez-vous nous parler un peu plus du fait que le gouvernement semble pressé de faire adopter le projet de loi C-5? En quoi cette mesure législative permet-elle de contrer les répercussions économiques des droits de douane que nous imposent dernièrement les États-Unis?

Mme Freeland : Je vous remercie de votre question, sénateur. Elle touche au cœur de mon intérêt sincère et passionné pour le projet de loi. Tout le monde ici travaille très fort et accorde une grande attention aux détails. Je profite de votre question pour laisser un peu de côté les détails afin de parler de l’objectif fondamental du projet de loi.

Aujourd’hui, nous reconnaissons tous — il le faut — que le Canada traverse une période critique. Nous subissons une pression économique extrême qui nuit aux travailleurs et aux entreprises du pays et qui fait en sorte qu’il est difficile d’attirer des investissements.

Le projet de loi nous offre une occasion de nous donner ce que les droits de douane américains nous enlèvent. Je trouve les chiffres stupéfiants : nous pouvons ajouter 200 milliards de dollars à notre économie simplement en évitant de nous tirer une balle dans le pied. C’est remarquable, et il est grand temps de le faire.

En ce qui concerne les grands projets visés par le projet de loi, la raison pour laquelle ils soulèvent un tel intérêt de la part des premiers ministres provinciaux et des Canadiens de toutes allégeances politiques, c’est qu’il n’est pas partisan de dire que nous devons construire davantage de grands projets au Canada, et que nous devons le faire plus rapidement. C’est un point sur lequel tous les Canadiens s’entendent, et nous savons qu’il est tout simplement trop difficile de le faire à l’heure actuelle. Le projet de loi vise à nous donner les moyens de bâtir le Canada. C’est ce dont nous avons besoin.

Le sénateur Al Zaibak : Je vous remercie. Comment la mesure législative répond-elle précisément aux répercussions économiques des récents droits de douane? Je n’ai pas entendu de détails à ce sujet. Par exemple, comment la mesure législative permettra-t-elle de faire contrepoids à ce qui passe avec l’acier et l’aluminium?

Mme Freeland : Vous avez répondu vous-même à une partie de votre question. J’ai passé beaucoup de temps à discuter avec des gens du secteur de l’acier et de l’aluminium, que ce soit avec les syndicats qui représentent les travailleurs ou avec les travailleurs eux-mêmes. C’était moi la ministre qui devais contester et faire lever les premiers droits de douane imposés au titre de l’article 232. Les travailleurs de ces deux secteurs sont très inquiets, et on peut les comprendre.

Ces grands projets offriront un moyen au Canada d’utiliser l’acier et l’aluminium — surtout l’acier — qui aura du mal à trouver preneur sur les marchés américains. Le contexte général est tellement incertain. C’est très difficile de s’avancer sur les répercussions qu’aura cette pression commerciale sur l’économie canadienne, mais on sait déjà qu’elles ne seront pas réjouissantes. Nous savons que la suppression des obstacles au commerce intérieur aura un effet très bénéfique sur le PIB — d’aucuns parlent de 1, 2, voire 4 % du PIB, soit 200 milliards de dollars.

Pensez-y un instant, honorables sénateurs. La partie du projet de loi sur le commerce intérieur ne coûtera rien à l’État et permettra d’injecter 200 milliards de dollars dans l’économie canadienne. Je crois que c’est le genre de proposition à laquelle nous devrions tous dire oui.

Le sénateur Al Zaibak : Je vous remercie.

(1440)

La sénatrice White : Madame la ministre, je vous remercie d’être ici avec nous aujourd’hui. Je remercie également les représentants qui vous accompagnent. Je suis heureuse de les voir. J’ai eu le privilège de travailler avec certains d’entre eux dans une autre vie.

Lorsque le projet de loi C-5 a été déposé, le gouvernement a déclaré, dans son communiqué de presse du 6 juin, que les projets seront déclarés d’intérêt national et approuvés d’emblée sous certaines conditions seulement après des consultations exhaustives avec les Autochtones concernés, conformément aux engagements du Canada à l’égard de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et à ses obligations constitutionnelles en matière de consultation des groupes autochtones. Je suis heureuse de voir cela, mais étant donné que ces projets d’intérêt national seront aménagés sur les terres des Autochtones, quelles mesures concrètes le gouvernement prend-il pour s’assurer que le projet de loi respecte le droit de ces derniers de donner leur consentement préalable, librement et en connaissance de cause?

Mme Freeland : Merci de votre question, madame la sénatrice. Je vous remercie également d’avoir salué la présence de ces fonctionnaires exceptionnels.

La dimension autochtone est très importante. J’ai d’ailleurs quelques détails à vous donner à cet effet. Je parlerai ensuite de manière plus générale de l’approche que nous devons adopter à mon avis.

Tout d’abord, un conseil consultatif autochtone sera mis sur pied au sein du bureau des grands projets. De plus, de l’exercice 2025-2026 à l’exercice 2028-2029, un montant de 18,6 millions de dollars par année sera consacré au renforcement des capacités pour les Premières Nations, les Inuit et les Métis. Vous savez pertinemment à quel point cette aide financière est essentielle pour mener à bien un véritable travail de collaboration.

Je tiens aussi à souligner la mise sur pied du Programme de garantie de prêts pour les Autochtones, un projet dont je suis très fière. Alors que j’avais alloué un budget de 5 milliards de dollars à cette initiative, le premier ministre a bonifié mon offre pour porter à 10 milliards de dollars le financement de ce programme. Je soutiens fermement cette décision. Je crois sincèrement que si nous faisons les choses correctement — ce qui nécessite l’engagement de tous —, cette mesure législative sera porteuse de prospérité pour les Autochtones, favorisera leur participation à la croissance économique du Canada et renforcera leur rôle dans la construction du pays sur les terres autochtones, comme vous l’avez si bien dit, madame la sénatrice.

La sénatrice White : Merci. Je suis très heureuse d’entendre cela. Un certain nombre d’initiatives ont donné d’excellents résultats dans nos communautés. Je crains toutefois que ce projet de loi ait pour effet d’accélérer le calendrier des grands projets, ce qui aura certainement des répercussions sur les peuples autochtones.

Quelles mesures concrètes le gouvernement prendra-t-il afin d’accorder aux peuples autochtones suffisamment de temps pour donner leur consentement et participer à des consultations dignes de ce nom?

Mme Freeland : Je crois que j’ai déjà donné des éléments de réponse. Selon moi, le conseil consultatif autochtone jouera un rôle important. J’estime que le financement visant à renforcer les capacités est important pour que les Premières Nations, les Inuits et les Métis puissent contribuer aux travaux.

Il ne s’agit pas ici de sauter des étapes. Au lieu de prendre des mesures les unes à la suite des autres, faisons les choses simultanément. Retroussons-nous les manches et faisons ce qui doit être fait sans prendre de raccourcis. Toutefois, agissons rapidement, car nous sommes en crise.

Je dirais que l’accord de substitution qui existe déjà avec la Colombie-Britannique est une voie à suivre très prometteuse et stimulante. Nous comptons conclure d’ici six mois des accords de substitution avec tous les territoires et provinces. Il s’agit concrètement de passer à l’action : ne faisons pas les choses les unes après les autres, mais simultanément, et évitons de les faire en double.

Le sénateur Wilson : Madame la ministre, le projet de loi porte sur les obstacles fédéraux au commerce interprovincial. Toutefois, compte tenu de la myriade de normes et d’obstacles qui relèvent des provinces, que compte faire le gouvernement pour qu’il puisse être de nouveau question par la suite, sur le plan de la visibilité et de la reddition de comptes, des obstacles qui resteront à régler lorsque l’intérêt général se dissipera inévitablement? Que compte faire le gouvernement pour que rien ne soit omis lorsque la poussière retombera?

Mme Freeland : C’est une excellente question à laquelle je réfléchis beaucoup. Je dirais principalement que je ne veux pas que le sujet cesse de retenir l’attention et que l’élan ralentisse. J’ai clairement indiqué que le projet de loi est important, mais qu’il ne marque pas la fin du processus. Les mesures prises par les provinces et les territoires sont importantes, mais elles ne constituent pas la fin du processus. J’espère que tous les sénateurs ici présents feront comme moi et poursuivront les efforts afin d’éliminer tous les obstacles encore existants au commerce et à la mobilité de la main-d’œuvre.

La mesure législative permet au gouvernement fédéral de garantir que nous agissions avec honnêteté; elle nous permet aussi de garder la tête haute lorsque nous nous adressons aux provinces, afin de pouvoir leur dire : « Nous avons apporté notre contribution. » La grande majorité des obstacles se trouvent entre les provinces. Je constate que celles-ci déploient des efforts considérables et une énorme énergie, mais il reste encore du travail à faire.

Veuillez prêter une attention particulière à la réunion du Comité du commerce intérieur — les ministres responsables — qui se tiendra le 8 juillet prochain, et mobilisons-nous tous pour faire avancer les dossiers du transport par camion, du logement et de la mobilité de la main-d’œuvre.

Le sénateur Wilson : Je vous remercie. Je n’ai pas d’autres questions.

Le sénateur Cardozo : Soyez la bienvenue au Sénat encore une fois, madame la ministre. Mes questions portent sur les articles 21, 22 et 23 du projet de loi, que certains ont qualifié de dispositions à la Henri VIII, car elles permettraient au gouvernement d’exempter une partie de ses plans et de ses activités d’une série de lois.

Pourriez-vous nous expliquer la raison d’être de ces articles et nous dire aussi ceci : les exemptions se limiteront-elles aux lois figurant à l’annexe 2? Si j’ai bien compris, il n’y a aucune limite de temps, ce qui veut dire que les gouvernements pourraient faire fi de ces lois pendant des dizaines d’années. Ai-je bien compris?

Mme Freeland : Je ne répéterai pas l’expression très colorée, mais pas tout à fait juste, que vous venez d’utiliser. L’idée, c’est vraiment de faire le nécessaire pour que les grands projets se réalisent. Nous devons être conscients que, de nos jours, les cadres législatifs existants ne conviennent pas à la réalité canadienne. Ils croulent sous les obstacles, tout comme le commerce intérieur.

J’espère que vous serez d’accord avec le premier ministre et moi — je crois bien que oui — pour dire que le pays traverse une véritable crise nationale et qu’il faut réagir avec des mesures extraordinaires. Il faut se donner les moyens de lancer de grands projets dès maintenant, mais aussi les outils pour le faire.

Qu’on se comprenne bien : c’est ce que fera cette mesure législative. Je suis sincèrement convaincue qu’il n’y a personne ici aujourd’hui, ou nulle part au Canada, qui serait contre l’affirmation voulant qu’on doive bâtir plus de grandes choses au Canada, et plus rapidement. Je crois que nous nous entendons tous sur ce point.

Je crois que nous sommes également tous d’accord pour dire qu’il faut que cela se fasse en toute sécurité, dans le respect des droits des peuples autochtones du Canada, dans le respect de l’environnement et dans un esprit de collaboration entre les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral. Ce processus est conçu précisément dans ce but. Il y aura une grande transparence et un large débat public au sujet de chaque projet concerné par ce processus.

Le sénateur Cardozo : Pouvez-vous donner un exemple de situation où vous pourriez vouloir exempter le gouvernement de l’application d’une loi?

Mme Freeland : L’une des choses que j’ai apprises lors des premières négociations de l’Accord de libre-échange nord-américain, c’est qu’il est hasardeux de se livrer à des conjectures. Ce que je peux dire, c’est qu’il s’agit d’établir un cadre et qu’il y aura une grande transparence et un vaste débat national au sujet de chaque projet concerné par ce processus.

Le sénateur Cardozo : Cela s’applique-t-il au logement?

Mme Freeland : Comme je l’ai dit, le projet de loi énonce très clairement les critères. Il ne s’agit pas de nommer des projets précis. Certains projets ont été évoqués comme possibilités, mais chacun d’entre eux devra suivre le processus.

(1450)

La sénatrice Duncan : Madame la Ministre, merci d’être ici. Bienvenue encore une fois au Sénat.

J’aimerais poser deux petites questions. Dans la partie 1 du projet de loi, il n’y a aucune définition de ce qui constitue une consultation. Ce qui est considéré comme une consultation varie d’un premier ministre à l’autre, d’une Première Nation à l’autre, entre les Inuits et les Métis. Il n’existe aucun protocole de consultation au sein du gouvernement du Canada. Vous avez mentionné plus tôt les fonctionnaires qui travaillent d’arrache-pied. Envisageriez-vous de demander qu’un groupe de hauts fonctionnaires travaille à la table fédérale, provinciale et territoriale avec les Premières Nations de l’ensemble du pays afin d’élaborer un protocole de consultation qui fonctionne avec le projet de loi et d’autres textes législatifs?

Mme Freeland : Merci pour votre question. Je viens de recevoir, de la part de fonctionnaires qui travaillent très fort, des documents très détaillés sur les consultations auprès des Autochtones. J’ai déjà évoqué la création d’un conseil consultatif autochtone qui relèvera du bureau des grands projets. Il s’agit d’une composante cruciale de ce travail.

Je tiens aussi à souligner que 66 groupes ont déjà été consultés dans le cadre du processus d’élaboration de ce projet de loi, tant avant qu’après son dépôt. J’ai participé à certains de ces échanges, à l’instar de fonctionnaires, de divers ministres et des premiers ministres des provinces et des territoires. Nous voulons que les peuples autochtones du Canada participent activement et pleinement à nos initiatives. La prospérité des peuples autochtones est au cœur de nos efforts. L’objectif est que les Autochtones puissent participer à nos projets, notamment en recourant au Programme de garantie prêts pour les Autochtones, dont le budget s’élève à 10 milliards de dollars.

Nous souhaitons accélérer la cadence, car nous sommes conscients — tout comme les dirigeants autochtones avec lesquels je me suis entretenue — que nous devons construire plus vite dès maintenant.

La sénatrice Duncan : Je n’ai rien à redire au sujet des intentions, madame la ministre, mais il faut absolument que tout le monde comprenne ce qui constitue une consultation. Ce mot n’est pas défini dans la loi et il n’est pas défini non plus dans les lignes directrices des fonctionnaires. C’est ce que je voulais dire. Je comprends que le gouvernement a pris les mesures dont vous avez parlé, mais pour qu’une décision résiste à l’examen des tribunaux — car c’est là qu’aboutissent les projets quand les consultations sont insuffisantes —, la loi doit définir précisément ce qui constitue une consultation.

Puis-je avoir 10 secondes de plus?

Le président : Oui, si vous souhaitez partager votre temps de parole avec d’autres membres de votre groupe.

La sénatrice Duncan : J’aimerais aborder un dernier point, madame la ministre, celui des transports. Vous avez très souvent répété — et d’autres aussi — que l’idée, c’est de favoriser la mobilité d’Halifax à Vancouver. Dans le Nord, le transport aérien est essentiel. Fait-il partie des discussions visant à renforcer l’économie canadienne et toutes ces autres mesures économiques? Le transport aérien et la réduction des coûts font-ils partie des discussions?

Mme Freeland : Tout à fait. C’est ce que m’ont dit les dirigeants du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. Vous connaissez très bien les enjeux, et c’est l’une des premières questions qui ont été portées à mon attention.

Je pense aussi à nos collègues de l’Atlantique : pour eux, c’est une bonne nouvelle, mais ils précisent que, ce qui leur importe, ce sont les traversiers et les ponts. Nos collègues du Nord, eux, ont notamment insisté sur la nécessité d’inclure le transport aérien.

Je tiens également à souligner que le fait qu’un projet soit hautement prioritaire pour les peuples autochtones, pour les partenaires autochtones, fait partie de la liste de critères qui lui permet d’être retenu.

Le sénateur Woo : Bienvenue au Sénat, madame la ministre. La question des normes et des codes divergents à l’échelle du pays a déjà été soulevée. Il est tout à fait logique d’essayer d’harmoniser les normes afin que les marchandises puissent circuler librement entre les provinces. Toutefois, la question préalable est de savoir comment ces normes et ces codes ont été élaborés à l’origine et comment ils le seront à l’avenir. Souvent, ils sont élaborés par des fonctionnaires de différents ministères provinciaux ou fédéraux, ce qui explique en partie le problème du manque d’uniformité.

Selon vous, madame la ministre, les organismes d’élaboration de normes du Canada pourraient-ils jouer un rôle plus important dans l’élaboration de normes et de codes qui pourraient être intégrés au Système national de normes du pays puis incorporés par renvoi dans les règlements de toute nouvelle mesure réglementaire, plutôt que de toujours laisser les fonctionnaires systématiquement élaborer eux-mêmes les règlements?

Mme Freeland : Il s’agit d’une très bonne question, et vous avez une excellente idée. Je dirais toutefois que l’approche qui est actuellement envisagée, c’est-à-dire l’élimination des obstacles intérieurs qui nuisent assurément au commerce et à la mobilisation de la main-d’œuvre dans bien des domaines, est une question d’harmonisation, mais aussi, et surtout, de reconnaissance mutuelle. Voilà l’approche que l’Australie a mise en œuvre et qui s’est avérée efficace. Cette approche a la vertu d’être souvent plus rapide que l’harmonisation. J’estime aussi qu’elle a la vertu de favoriser véritablement l’édification du pays.

J’aime beaucoup la façon dont le premier ministre de la Nouvelle-Écosse parle de reconnaissance mutuelle. Selon lui, c’est l’idée de se faire confiance les uns les autres. Voilà pourquoi j’ai donné des exemples précis dans mes remarques préliminaires. Il ne s’agissait pas d’idées passe-partout. J’ai écrit moi-même ces remarques parce que je crois que le commerce intérieur, c’est en bonne partie le fait de pouvoir dire ceci : si vous n’hésitez pas à manger un steak à Calgary, si vous êtes convaincus de ne pas avoir d’intoxication alimentaire parce que vous jugez l’Alberta digne de confiance, pourquoi devrait-il y avoir alors des analyses supplémentaires? Pourquoi ce même steak devrait-il avoir d’autres obstacles à surmonter, au sens figuré, pour que je puisse le manger à Toronto?

Le même principe s’applique à la mobilité de la main-d’œuvre. Si on a l’assurance qu’une infirmière d’Halifax a toutes les compétences requises pour faire son travail et offrir des soins, alors pourquoi ne pourrait-elle pas soigner des gens à Saskatoon? Pourquoi devrait-on lui imposer des exigences supplémentaires?

Je comprends le point soulevé au sujet de l’harmonisation, et c’est une très bonne idée, mais je tiens à souligner que l’approche très importante que les provinces ont proposée, avec l’appui du gouvernement fédéral, consiste à mettre en place un système de reconnaissance mutuelle afin qu’il y ait une confiance mutuelle à l’égard des compétences et que l’on n’ait pas à imposer deux fois le même processus.

Le sénateur Woo : La reconnaissance mutuelle fait partie intégrante du système de normes et comprend l’évaluation de la conformité, qui est évidemment essentielle à la reconnaissance des normes des différentes administrations.

Selon moi, ce qui pose problème dans l’incorporation par renvoi de normes élaborées à l’extérieur du système gouvernemental, c’est que la Loi sur les textes réglementaires est très stricte par rapport à ce qui peut être incorporé et, surtout, que la culture au sein des bureaucraties pousse celles-ci à élaborer elles-mêmes des règlements à l’interne au lieu de se tourner vers la communauté d’experts — si je peux m’exprimer ainsi — qui se trouve déjà au Canada.

Est-ce un aspect que votre ministère est prêt à examiner? Je pose la question, car, même si l’harmonisation et la reconnaissance mutuelle des règlements en place sont possibles, ces règlements sont nombreux, et il faudra en élaborer beaucoup plus dans les années à venir. Il ne faudrait pas qu’on se retrouve continuellement avec des règlements redondants et incohérents dans l’ensemble du pays.

Mme Freeland : Encore une fois, je vous remercie d’avoir soulevé ce point. C’est une idée et une proposition vraiment intéressantes. Cependant, comme nous en avons parlé un peu plus tôt, un mécanisme d’examen est inclus dans le projet de loi. C’est précisément parce que nous avons constaté, lors de l’élaboration de ce projet de loi, que l’accumulation de ces obstacles est en quelque sorte inévitable et que ceux-ci n’ont pas été mis en place de manière malveillante ou de mauvaise foi.

(1500)

Si je peux me permettre d’utiliser une métaphore agricole, il est temps de procéder à un grand défrichage pour avoir le champ libre. Il faudra toutefois reprendre le processus tous les deux ou trois ans pour éviter que la repousse ne prenne trop d’ampleur.

Le président : Merci, madame la ministre.

[Français]

Nous en sommes à la fin de la liste des sénateurs qui avaient demandé de poser des questions en fonction des groupes. Il nous reste encore 10 minutes.

[Traduction]

Le sénateur Housakos : Madame la ministre, à l’heure où on se parle, le Canada est confronté à une pénurie de travailleurs de la santé. Pourtant, aux quatre coins du pays, un grand nombre de personnes qui pourraient travailler dans le domaine de la santé conduisent pour Uber. Lors de la séance d’information sur le projet de loi C-5 à l’intention des sénateurs, les fonctionnaires ont affirmé sans équivoque que cette mesure législative ne s’appliquera pas aux travailleurs de la santé.

Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas saisi l’occasion de mettre en place une norme professionnelle Sceau bleu pour les travailleurs de la santé en s’inspirant du modèle du Sceau rouge accordé aux gens de métier?

Mme Freeland : Lorsqu’il est question de réduire les obstacles commerciaux intérieurs, je comprends tout à fait que vous vous intéressiez particulièrement à la mobilité de la main-d’œuvre, et je comprends tout à fait que vous parliez des travailleurs de la santé. À cet égard, nous nous employons énergiquement à collaborer avec les provinces et les territoires, qui ont fait de grands progrès. Lors de la réunion du 8 juillet du Comité du commerce intérieur, nous ferons avancer ce dossier.

Il n’y a rien qui me ravirait plus que chaque sénateur fasse un discours après l’adoption du projet de loi et publie le message suivant sur les réseaux sociaux : « Supprimons tous les obstacles qui empêchent les travailleurs de la santé de travailler ailleurs au pays. » À cela, j’ajouterais qu’il faut accélérer la reconnaissance des titres de compétence étrangers.

Le sénateur Housakos : Madame la ministre, c’est ma dernière question, mais elle est très importante. Je n’ai pas besoin de vous dire que l’opposition conservatrice appuie le projet de loi à la Chambre, tout comme l’opposition l’appuie au Sénat. Ce qui nous inquiète, toutefois, c’est que le gouvernement actuel est composé d’un certain nombre de députés qui étaient aussi députés lors de la précédente législature et qui étaient, selon nous, avides d’instaurer des obstacles bureaucratiques, par exemple dans les projets de loi C-69 et C-48, pour ce qui est du traitement accéléré et de l’approbation de projets du secteur de l’énergie.

Qu’est-ce qui a changé? Le gouvernement sera-t-il prêt à agir pour que le pétrole canadien puisse être transporté vers l’est ou vers l’ouest, et que le gaz naturel liquéfié puisse enfin être acheminé dans les pays qui supplient le Canada de commencer à leur en fournir?

Mme Freeland : Je répondrai à la question en deux temps.

Premièrement, je suis très fière d’être la ministre qui a fait construire le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain. Dans mon discours sur le budget de 2024, j’ai très intentionnellement fait référence aux « soudures qui ne peuvent être testées au préalable et qui doivent donc être parfaites », qui ont permis d’achever la construction de l’oléoduc. Cet oléoduc rapportera 1,25 milliard de dollars, qui seront directement remis au gouvernement fédéral cette année. Cela nous permettra de diversifier nos revenus à un moment où nous en avons certainement besoin.

Vous avez parlé du gaz naturel liquéfié. De nouveaux projets de gaz naturel liquéfié vont voir le jour cette année sur la côte Ouest, exactement au moment où nous en avons besoin. Ces projets ne se sont pas concrétisés du jour au lendemain. Ils sont en cours de construction depuis un certain temps déjà et, comme je l’ai dit, ils arrivent à point nommé.

Je vous remercie d’avoir reconnu et souligné que les conservateurs appuient la mesure législative. Comme je l’ai fait à la Chambre des communes lorsque j’ai répondu aux questions en comité plénier, je tiens à reconnaître dans cette enceinte le mérite du député Dan Albas, qui milite depuis longtemps dans ce dossier. Je suis certaine que nous nous souvenons tous de son intervention mémorable pour la libéralisation du commerce de la bière. Je tiens à lui en attribuer le mérite.

Je tiens également à reconnaître le mérite de mon ami, l’ancien premier ministre Jason Kenney, qui parlait déjà d’éliminer les obstacles au commerce intérieur avant que cela ne devienne à la mode.

Je m’en voudrais également de ne pas souligner le véritable leadership dont a fait montre le premier ministre Tim Houston — que j’ai cité de manière tout à fait intentionnelle —, mais aussi le leadership du premier ministre Doug Ford, qui a saisi la balle au bond et qui n’a pas hésité à foncer.

Selon moi, il ne s’agit pas d’un geste partisan, mais d’un véritable moyen d’édifier le pays, et je suis ravie que nous puissions y voir tous ensemble.

[Français]

La sénatrice Hébert : Madame la ministre, bonjour et bienvenue. Je serai très brève. On sait tous que le milieu des affaires réclamait depuis longtemps que les barrières non tarifaires interprovinciales soient aplanies. Je crois que le projet de loi représente un pas important dans cette direction.

Cependant, on sait aussi que les provinces doivent faire leur part. On parle de reconnaissance mutuelle, et c’est très bien. On préfère cela à un régime d’exception, car on sait que c’est beaucoup plus efficace.

Certaines lois prévoient la mise en place de mécanismes de discussion entre les provinces et le gouvernement fédéral. Croyez-vous que ce serait quelque chose d’opportun? On sait que souvent, dans ce cas-ci, l’os dans la moulinette se situe à l’échelle des provinces. Le gouvernement fédéral a beau avoir un mécanisme de reconnaissance, mais les provinces n’ont pas la même chose.

Serait-il possible d’envisager que le projet de loi prévoie la mise en place de tels mécanismes de discussion, ou pourrait-on confier à une instance déjà existante le mandat de favoriser les échanges entre les provinces, pour faire en sorte qu’elles fassent leur bout de chemin elles aussi?

Mme Freeland : Je vous remercie de cette importante question. Je crois que vous comprenez que la plupart des barrières se situent à l’échelle des provinces et qu’elles touchent des champs de compétence provinciale. Je crois que le rôle du gouvernement fédéral, c’est de faire trois choses. Premièrement, le gouvernement fédéral doit faire sa juste part, et c’est ce qu’il fait avec ce projet de loi.

Le gouvernement fédéral doit aussi encourager les provinces à éliminer les barrières et moi, en tant que ministre fédérale, je dois être en mesure de dire que j’ai fait tout ce que je pouvais faire.

La deuxième chose que peut faire le gouvernement fédéral, c’est de participer à des réunions nationales. Nous le faisons déjà, et j’ai déjà mentionné la réunion des ministres du Commerce international qui se tiendra le 8 juillet prochain. De plus, nous sommes en train d’organiser une table ronde des ministres des Transports pour parler plus particulièrement des camionneurs, parce que c’est un enjeu qui, une fois réglé, aura un effet économique immédiat.

La troisième chose que nous pouvons faire, et nous pouvons tous participer à cela, c’est d’éviter de faire ce dont le sénateur a parlé. J’espère que ce projet de loi sera adopté d’ici le 1er juillet, mais je sais que notre travail ne sera pas terminé. J’espère que chacun de vous, honorables sénatrices et sénateurs, m’aidera et aidera les premiers ministres des provinces et des territoires à continuer de parler de cette question et à continuer de dire que oui, c’est un bon début, mais qu’il reste encore beaucoup de travail à faire.

[Traduction]

La sénatrice McPhedran : Ravie de vous voir ici, madame la ministre. Dernièrement, le premier ministre a parlé de pétrole « décarboné », une expression qui ressemble davantage à un beau mot employé par l’industrie pétrolière qu’à un concept scientifique éprouvé.

(1510)

Dans la mesure où il a été clairement établi que la combustion de pétrole produit nécessairement des émissions, adhérez-vous personnellement à la notion de pétrole décarboné? Mais surtout, votre ministère a-t-il l’intention de traiter les infrastructures du secteur pétrolier comme une partie intégrante de sa stratégie sur la carboneutralité, malgré la contradiction?

Mme Freeland : Je crois sincèrement que nous, en tant que pays, devons bâtir le Canada. Nous devons reconnaître l’importance de notre secteur pétrolier et gazier pour l’économie canadienne, la création d’emplois et l’économie mondiale. Nous devons également reconnaître l’importance de l’énergie propre et renouvelable et des efforts visant à réduire les émissions.

Je suis très fière des crédits d’impôt à l’investissement que j’ai instaurés en tant que ministre des Finances et qui offrent les outils économiques qui visent à faire exactement cela. Je me réjouis également des crédits d’impôt pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone prévus dans l’un de mes budgets. Ils constituent un outil concret pour mener à bien le projet de l’Alliance Nouvelles voies.

Je crois sincèrement que le Canada doit prendre toutes ces mesures. Le projet de loi traite d’énergie propre et renouvelable. Il traite de décarbonation et de ressources naturelles.

Le président : Honorables sénateurs, le comité entend la ministre depuis maintenant 65 minutes. Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, je suis obligé d’interrompre les délibérations afin que le comité puisse poursuivre avec le deuxième panel.

Madame la ministre, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être jointe à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi. Je tiens également à remercier les fonctionnaires de votre ministère.

Des voix : Bravo!

Le président : Honorables sénateurs, nous allons suspendre pendant 10 minutes afin de nous préparer pour le deuxième panel. Nous allons reprendre à 15 h 18.

[Français]

Mme Freeland : Merci beaucoup. Si vous me le permettez, j’aimerais remercier notre ami le sénateur Hassan Yussuff, qui travaille très fort sur ce projet de loi.

[Traduction]

Merci, Hassan.

(La séance du comité est suspendue.)

(La séance du comité reprend.)

Le président : (Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, les témoins prennent place dans la salle du Sénat.)

Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance en comité plénier afin de poursuivre son étude sur la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

Le comité entendra maintenant David R. Pierce, vice-président, Relations gouvernementales, Chambre de commerce du Canada; Bryan N. Detchou, directeur principal des ressources naturelles, de l’environnement et de la durabilité, Chambre de commerce du Canada; Jay Khosla, directeur général, Politiques économiques et énergétiques, Forum des politiques publiques; Yiota Kokkinos, conseillère exécutive principale, Forum des politiques publiques; Keith Jansa, directeur général, Conseil de gouvernance numérique.

Je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui. Je vous invite à faire vos observations préliminaires.

David R. Pierce, vice-président, Relations gouvernementales, Chambre de commerce du Canada : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui pour parler du projet de loi C-5, la nouvelle mesure législative qui vise à réduire les obstacles au commerce et à bâtir des projets d’intérêt national d’une importance cruciale au Canada.

(1520)

Je suis accompagné de Bryan Detchou, spécialiste des ressources énergétiques et de la politique environnementale à la Chambre de commerce du Canada.

La Chambre de commerce du Canada représente ses membres directs et l’ensemble du réseau, qui compte quelque 400 chambres de commerce et conseils commerciaux répartis dans tout le pays, pour un total de 200 000 membres.

Nous tenons à féliciter le premier ministre et le gouvernement du Canada d’avoir agi de manière aussi rapide et méthodique pour présenter le projet de loi C-5. Cette mesure législative a été conçue pour éliminer les obstacles au commerce intérieur et amorcer un dialogue sur la construction d’infrastructures nationales essentielles. Bien qu’il porte sur le commerce intérieur et les infrastructures, ce projet de loi est surtout une riposte à l’un des bouleversements économiques les plus marquants qu’ait connus notre génération.

Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est différent sur le plan économique, et les entreprises et les familles canadiennes sont confrontées à des risques accrus. Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais souligner que, le 4 février 2025, notre présidente et chef de la direction, Candace Laing, a présenté le plan Tous ensemble pour le Canada de la Chambre de commerce du Canada. Ce plan repose sur quatre piliers : construire des infrastructures essentielles, réduire les formalités administratives et les obstacles au commerce intérieur, diminuer les impôts et ouvrir de nouveaux marchés pour nos biens et nos ressources.

Revenons maintenant au projet de loi C-5, qui donne suite à un grand nombre des questions que nous avons soulevées l’hiver dernier. Je serai heureux d’en parler plus en détail lors de la période réservée aux questions et aux réponses.

Passons maintenant à la sécurité énergétique.

La demande mondiale en énergie devrait augmenter de près de 50 % d’ici 2050. Le Canada et les autres pays du G7 doivent s’y préparer en veillant à l’abordabilité, à la fiabilité et à la résilience de leurs systèmes. En raison de l’instabilité géopolitique et de la fragilité des chaînes d’approvisionnement, la politique énergétique est devenue un enjeu capital pour la sécurité nationale et économique.

La Chambre de commerce du Canada a organisé dernièrement le sommet B7 à Ottawa. Les chefs d’entreprise ont alors affirmé ce qu’on savait déjà : le Canada doit contribuer activement au contexte énergétique mondial et à la croissance économique propre. Il s’agit d’une rare occasion, mais pour la saisir, il faut agir dès maintenant avec audace et coordination.

Malheureusement, le Canada a perdu de son élan au cours des dernières décennies. Je vous pose la question : le Canada pourrait-il construire aujourd’hui le pipeline de TransCanada? Que dire des barrages hydroélectriques au Québec? De la Transcanadienne?

De nos jours, les grands projets énergétiques et d’infrastructures sont souvent retardés par des impasses réglementaires, la hausse des coûts et l’indécision politique. Les conséquences sont bien réelles : la confiance des investisseurs s’estompe, la productivité stagne et les capitaux profitent plutôt à des pays qui réagissent plus rapidement.

Il est essentiel d’adopter une approche axée d’abord et avant tout sur l’énergie. C’est en tirant parti de nos avantages comparatifs dans les sources d’énergie traditionnelles que nous pourrons favoriser les investissements propres, accroître notre autosuffisance et répondre aux besoins des Canadiens et de nos partenaires, ailleurs dans le monde.

Nous sommes encouragés par le projet de loi C-5 et son potentiel pour améliorer la capacité du Canada à réaliser des projets d’envergure. Certaines dispositions du projet de loi pourraient, selon nous, être clarifiées ou améliorées. Pour l’instant, nous demandons aux sénateurs d’examiner les recommandations suivantes, non seulement pour ce projet de loi, mais aussi pour les futurs textes législatifs dont le Sénat et ses comités seront saisis ou qui seront présentés par leurs collègues dans cette enceinte.

Le projet de loi C-5 met à juste titre l’accent sur les projets d’intérêt national. Cependant, nous avons besoin d’un système de réglementation qui fonctionne efficacement pour tous les projets d’infrastructure. Sans une réforme plus large, nous risquons de nous retrouver avec un processus à deux vitesses. Le caractère urgent ne peut prévaloir sur les droits des Autochtones, les considérations environnementales ou les compétences provinciales. Un cadre crédible doit être fondé sur la confiance et la sécurité juridique. Le non-respect de ces principes risque d’entraîner des retards, de susciter de l’opposition et de donner lieu à des contestations judiciaires qui compromettraient la réalisation de l’objectif que nous visons.

Enfin, les approbations ne constituent qu’une partie des difficultés. Pour véritablement progresser, les gouvernements doivent également s’attaquer au fardeau réglementaire, ancien et nouveau, qui s’accumule et pèse sur les grands projets énergétiques et d’exploitation des ressources. Il faut se pencher sur les dispositions d’écoblanchiment, le plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier et bien d’autres questions.

Honorables sénateurs, saisissons cette occasion pour faire rayonner le Canada, exploiter pleinement notre potentiel et réaffirmer notre place parmi les chefs de file mondiaux, afin d’assurer un avenir meilleur et plus prospère à l’ensemble des Canadiens.

Je vous remercie.

Jay Khosla, directeur général, Politiques économiques et énergétiques, Forum des politiques publiques : Merci, monsieur le président, et merci aussi aux membres du comité. Je suis sincèrement reconnaissant de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui. C’est un honneur et un privilège de pouvoir répondre à vos questions, ce que je ferai avec humilité.

Commençons par admettre que le Canada est à la croisée des chemins, comme l’a dit mon collègue. Nous avons les ressources et le talent, et la demande mondiale est là, mais nous prenons trop de temps pour bâtir des infrastructures énergétiques et réaliser des projets d’exploitation des minéraux critiques. Il y a quelques mois, le Forum des politiques publiques a publié le rapport Construire grand dans un sentiment d’urgence parce qu’il est d’avis que nous ne vivons pas une simple transition, mais qu’il se présente au contraire à nous le genre d’occasion qui n’arrive qu’une fois par génération, celle de repenser l’avenir de notre économie et d’assurer la prospérité de tous les Canadiens.

Construire grand est l’appel à l’action du Forum des politiques publiques, un plan de match pour débloquer des milliards de dollars d’investissements, attirer les capitaux étrangers et accélérer la réalisation de projets susceptibles de contribuer à l’édification de la nation. Nous avons produit ce rapport en réaction à une baisse marquée des investissements et parce que le pays a besoin d’une stratégie audacieuse et coordonnée pour faire avancer les projets.

On trouve dans ce que nous appelons notre petit guide 10 actions essentielles qui, prises ensemble, permettront aux grands projets d’avancer rapidement. Ce guide repose sur la prémisse selon laquelle, si nous construisons de grandes choses, le Canada pourra réduire sa dépendance au marché américain, devenir un fournisseur de minéraux critiques et d’énergie de confiance sur la scène internationale, atteindre ses objectifs climatiques et renforcer les infrastructures qui relient les différentes régions du pays et qui nous permettent d’affirmer notre souveraineté.

Commençons par le pourquoi.

Nous savons tous que Donald Trump a donné au Canada un coup de semonce bien nécessaire. Le Canada doit élargir son accès aux marchés et renforcer la coopération fédérale-provinciale afin de rester compétitif. Pourtant, les investissements dans les grands projets ont diminué malgré notre énorme potentiel.

Navius Research a réalisé la modélisation de propositions de projets d’une valeur de plus de 600 milliards de dollars, lesquels pourraient ajouter 1,1 billion de dollars à notre PIB d’ici 2035, une hausse de 4,5 %. Il s’agit là d’une croissance réelle stimulée par les ressources, la main-d’œuvre et l’initiative canadiennes. Nous avons l’expertise nécessaire au Canada pour mener à bien des projets de cette nature, qui peuvent stimuler et stimuleront notre économie tout en ayant des effets positifs sur l’environnement.

J’ajouterais que ce n’est pas une simple question de croissance. Nous cherchons aussi à assurer la sécurité de nos chaînes d’approvisionnements essentielles et à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour nous permettre d’avancer stratégiquement à long terme. Nous devons accroître notre activité entrepreneuriale et devenir plus compétitifs à l’échelle mondiale.

Parlons maintenant du projet de loi C-5. Il est encourageant de voir que des efforts sont déployés dans l’ensemble des administrations publiques pour identifier et approuver rapidement des projets d’édification nationale. En tant que rassembleur, le Forum des politiques publiques s’efforce d’apporter une perspective cohérente et unificatrice aux enjeux majeurs qui façonneront l’avenir du Canada, comme celle dans les conclusions du rapport.

Il s’agit de la consultation la plus vaste que nous ayons jamais menée. Les gouvernements fédéral et provinciaux, les organismes de réglementation, les groupes autochtones et les représentants de l’industrie à l’échelle du pays ont tous été consultés. Ces consultations nous ont permis de repérer quatre leviers clés qui, s’ils sont harmonisés efficacement, débloqueront des investissements et stimuleront la croissance nationale.

Premièrement, il s’agit de trouver le bon financement. Nous devons réduire les risques associés aux projets et attirer les investisseurs privés que nous avons perdus. Nous devons les récupérer, mais cela ne sera possible que si le financement est bien coordonné.

Deuxièmement, et bien évidemment, la réglementation dont nous parlons depuis une quinzaine d’années doit être claire, rapide et efficace sur le plan environnemental. Nous pensons que c’est possible.

Troisièmement, il faut les infrastructures habilitantes telles que les lignes de transport d’électricité, les routes, les ports et la main-d’œuvre associée nécessaire pour soutenir ces grands projets de construction.

Quatrièmement, il faut assurer la participation économique des Autochtones. C’est essentiel, et cela suppose une prise de participation et un accès réel aux capitaux dès le premier jour.

Il s’agit de mesures pratiques, réalisables et conformes à certaines des orientations définies dans le projet de loi C-5, telles que l’identification en amont de grands projets d’intérêt national, l’adoption du principe « un projet, une évaluation », sous la direction d’un bureau fédéral des grands projets, l’établissement d’une fenêtre d’approbation réglementaire ferme de deux ans et un changement de culture gouvernementale, c’est-à-dire passer de la question « pourquoi approuver? » à la question « comment approuver de manière responsable? »

Pour poursuivre sur cette lancée, nous avons également besoin d’une vision claire et d’un changement de culture, y compris d’un objectif national de croissance du PIB par habitant pour nous guider et pour mesurer nos progrès. Nous estimons qu’il s’agit là d’une mission essentielle.

Ce projet de loi est un premier pas dans la bonne direction, mais sa mise en œuvre dépendra de partenariats solides entre les gouvernements et avec les peuples autochtones. C’est là que les grands projets ont fait leurs preuves. J’espère pouvoir vous faire part d’exemples sur lesquels j’ai travaillé au cours de ma vie pendant la période de questions et réponses, si vous le souhaitez.

Notre plan de match propose une marche à suivre, mais ce sont les détails qui comptent vraiment. Pour véritablement débloquer les investissements, la mise en œuvre doit passer par 10 actions essentielles. Voici trois d’entre elles qui, selon nous, mériteraient d’être renforcées :

Tout d’abord, nous avons besoin d’une gouvernance forte et responsable, à commencer par le premier ministre. De plus, un comité de sous-ministres spécial qui se réunit régulièrement, soutenu par un comité de ministres, devrait piloter la coordination et la mise en œuvre. Quand un gouvernement est discipliné, concentré et coordonné, les choses peuvent avancer très vite, comme nous l’avons vu lors de la pandémie.

(1530)

Deuxièmement, il faut démêler l’écheveau des programmes de financement fédéraux. Actuellement, les promoteurs de projets et les Autochtones sont ballottés entre la Banque de l’infrastructure du Canada, le Programme de croissance propre, le Fonds stratégique pour l’innovation, Exportation et développement Canada, et j’en passe. La liste est longue. Pour débloquer ces projets, il faut regrouper ces structures de capital et créer un guichet unique où s’adresser.

Troisièmement, il faut créer un bureau d’investissement stratégique, qui pourrait s’appeler le Bureau des grands projets. Nous n’en avons aucune idée, mais il faut qu’il soit axé sur les investissements, et pas seulement sur la réglementation. Il devrait s’agir d’une équipe pangouvernementale qui coordonne dans ses analyses le financement, les approbations réglementaires, les grandes infrastructures et la participation des Autochtones, et qui a l’expertise financière nécessaire pour ce faire...

Le président : Monsieur Khosla, vos cinq minutes sont écoulées.

M. Khosla : Une dernière chose, si vous me permettez. L’huissier du bâton noir a gentiment accepté de mettre une pile de cartes là. Si vous souhaitez obtenir une copie du rapport, vous n’avez qu’à balayer le code QR qui s’y trouve. Je vous prie de m’excuser d’avoir pris trop de temps.

Keith Jansa, directeur général, Conseil de gouvernance numérique : Honorables sénateurs, je vous remercie de me permettre de venir vous parler aujourd’hui du projet de loi C-5.

Je félicite le gouvernement du Canada d’avoir compris à quel point il est urgent d’accélérer les projets d’intérêt national, car ces projets contribuent à l’économie et à la sécurité énergétique du pays et ils nous permettent d’affirmer notre souveraineté. Cette mesure législative définit à bon droit la collaboration interprovinciale et le développement des infrastructures comme des priorités. J’ai toutefois l’impression que le projet de loi C-5 met la charrue devant les bœufs. Il accorde en effet la priorité à la comparabilité et à l’harmonisation des exigences — la charrue —, ce qui est un objectif tout à fait louable, avant de se doter des structures nécessaires — les bœufs — pour atteindre ce même objectif. Sans processus de gouvernance éprouvé pour guider la coordination et l’intégration des projets, le Canada risque d’adopter des lois qui ne seront pas acceptées de tous, ce qui finira par obliger le gouvernement à faire marche arrière et à repenser certains éléments, ce qui lui fera perdre du temps et des ressources et risquera de saper la confiance du public.

C’est précisément ce qui est arrivé dernièrement quand la Nouvelle-Écosse a décidé de reculer sur l’allégement des obstacles au commerce. Ce genre de raccourcis imposés d’en haut peuvent sembler efficaces à court terme, mais dans les faits, ils sont voués à l’échec. Alors que le Canada investit des sommes historiques dans ses infrastructures et sa modernisation, négliger la partie coordination de la démarche est non seulement inefficace, mais stratégiquement risqué.

Dans le contexte économique actuel, on ne parle plus uniquement des infrastructures physiques. En effet, il y a aussi des infrastructures numériques. Des réseaux énergétiques nationaux aux corridors de transport, en passant par les plateformes numériques dédiées à la main-d’œuvre et à la chaîne d’approvisionnement, les infrastructures essentielles sont désormais tributaires des technologies numériques. La mise en place de ces systèmes va au-delà de la simple intention et nécessite l’établissement de normes qui garantissent la compatibilité, la sécurité et la capacité d’évolution des systèmes. Les dispositions du projet de loi ne font aucunement référence aux normes, alors que celles-ci jouent un rôle crucial dans le soutien des infrastructures modernes partout dans le monde et dans tous les secteurs, sans compter que de nombreuses normes obsolètes continuent de figurer dans la réglementation.

Je recommande donc que le projet de loi C-5 soit modifié afin qu’y soient intégrées des dispositions établissant un processus officiel, adapté et dirigé par des experts pour la création, l’adoption et l’intégration en temps opportun de normes. Cette structure serait placée sous la responsabilité du gouverneur en conseil et servirait de fondement stratégique à la mise en œuvre du projet de loi. Une telle initiative favoriserait la collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, les peuples autochtones et l’industrie, qui seraient ainsi en mesure de reconnaître et d’intégrer, sur une base volontaire, des normes acceptées par consensus dans le but d’éliminer les règlements désuets, les lourdeurs administratives et les obstacles au commerce qui ralentissent l’adoption des nouvelles technologies et nuisent à notre productivité.

Nos homologues internationaux le comprennent et prennent la question très au sérieux. La « Nouvelle Approche » de l’Union européenne a établi un mécanisme cohérent entre les États membres de celle-ci, leurs décideurs politiques, leurs organismes de réglementation, l’industrie, la société civile et les organismes de normalisation afin d’élaborer des normes consensuelles qui suivent le rythme du changement tout en servant l’intérêt public. Tous les États membres ont l’obligation d’adopter des normes harmonisées et de retirer les réglementations redondantes. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont eux aussi donné la priorité à cette approche stratégique et ont rendu son utilisation obligatoire il y a plusieurs décennies. Ils reconnaissent également que l’infrastructure numérique est une infrastructure nationale et qu’un contrôle souverain sur les normes régissant ces systèmes est essentiel.

Le Canada doit faire de même. L’absence de priorités canadiennes organisées qui guident les normes essentielles mine notre croissance et érode à la fois notre souveraineté et notre sécurité.

Je dirais cependant que nous ne partons pas de zéro. Nous disposons déjà d’institutions qui font le lien entre l’expertise technique, la réglementation d’intérêt public et les normes. Le Conseil de gouvernance numérique, par exemple, est un organisme national à but non lucratif qui réunit des organisations des secteurs public, privé et sans but lucratif issues des gouvernements, de diverses industries, du milieu universitaire et de la société civile. Le conseil élabore des normes consensuelles par l’intermédiaire de l’Institut des normes de gouvernance numérique, il appuie leur mise en œuvre et il offre un forum national de collaboration et d’harmonisation.

Le projet de loi C-5 tirerait le meilleur parti de ces institutions et capacités existantes, non pas pour ajouter de la bureaucratie, mais pour faire en sorte que la mise en œuvre rapide ne se fait pas au détriment de l’interopérabilité, de la confiance ou de l’efficacité à long terme.

Pour saisir cette occasion, le projet de loi C-5 doit inclure une disposition en bonne et due forme visant à établir un mécanisme qui garantit l’élaboration, l’adoption et l’intégration de normes de manière proactive, inclusive et conforme aux priorités nationales. Grâce à cette structure, le Canada sera mieux placé pour répondre aux réalités contemporaines, réduire les chevauchements et les retards entre les compétences, et ancrer la souveraineté, la confiance et l’innovation dans les infrastructures qui sous-tendent notre économie et notre société.

Honorables sénateurs, il ne s’agit pas seulement d’une lacune dans les politiques, mais d’une occasion de bâtir notre pays. Je vous exhorte à considérer le projet de loi C-5 non seulement comme un moyen d’accélérer la réalisation de projets, mais aussi comme une plateforme pour moderniser les fondements de la gouvernance sur lesquels ces projets reposeront.

Je vous remercie. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions.

[Français]

Le président : Nous allons maintenant procéder à la période des questions, en commençant par un premier bloc destiné au sénateur Carignan. Je vous rappelle de préciser à qui votre question s’adresse.

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse au représentant de la Chambre de commerce. Monsieur Pierce, vous parlez du besoin urgent de faire avancer des projets comme ceux de Roberts Bank ou de Contrecœur. Le projet de loi C-5 ne simplifie pas les obligations des promoteurs. Ceux-ci devront satisfaire à toutes les exigences législatives en vigueur, fournir les renseignements demandés et s’acquitter des frais associés avant que le ministre puisse délivrer une autorisation.

Dans ce contexte, pensez-vous vraiment que le projet de loi suffira à faire débloquer concrètement de grands projets, ou risque-t-il simplement de réorganiser la procédure sans réellement faire progresser son déroulement?

[Traduction]

M. Pierce : Merci pour votre question. Tout d’abord, je tiens à préciser que la Chambre de commerce du Canada travaille beaucoup avec le gouvernement. Je pense que les Canadiens seraient surpris d’apprendre à quel point les dédoublements sont fréquents. C’est le cas à l’échelle fédérale, où les ministères peuvent adopter des réglementations qui font double emploi, mais il peut aussi y avoir des chevauchements entre les règlements fédéraux et provinciaux. Au bout du compte, tout cela finit par retarder la construction d’infrastructures, la mise en œuvre de projets ou la réalisation d’initiatives essentielles.

À première vue, ce projet de loi semble être un pas dans la bonne direction. Il reprend deux des principales mesures que nous avions réclamées au gouvernement en février et les met en œuvre rapidement. Le gouvernement pourrait-il faire plus? Oui, sans aucun doute. Existe-t-il des moyens d’élargir la portée des deux volets du projet de loi? Probablement. Cependant, à notre avis, la teneur du projet de loi C-5 répond aux besoins pour le moment et met en place les éléments nécessaires pour passer à l’étape suivante, soit l’approbation et l’examen de certains projets d’intérêt national.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma deuxième question s’adresse à M. Khosla. Vous avez corédigé un rapport dans lequel vous insistez sur l’urgence d’accélérer la progression de grands projets d’infrastructure et d’énergie et la nécessité de simplifier et de stabiliser le processus d’approbation.

À première vue, le projet de loi C-5 semble s’inscrire dans cette logique. En revanche, tel qu’il est rédigé, n’est-il pas trop vague pour garantir cette accélération, notamment en raison des pouvoirs discrétionnaires très étendus qui sont confiés au ministre? Ne craignez-vous pas qu’en fin de compte, comme on l’a vu dans les dernières années, le ministre fonde sa décision sur des considérations plutôt idéologiques, comme l’hostilité envers un secteur ou la préférence pour un autre, plutôt que sur des critères?

[Traduction]

M. Khosla : Merci, monsieur le sénateur, pour cette excellente question. J’aurais beaucoup à dire sur ce sujet, mais je me limiterai à deux ou trois points. À notre avis, le projet de loi constitue une mesure importante sur le plan administratif, car il confie à un seul ministre du gouvernement fédéral la responsabilité de l’évaluation environnementale et de l’octroi des permis au titre de la réglementation.

(1540)

Ensuite, comme je le disais dans mes remarques liminaires, il faut aller beaucoup plus loin qu’une simple loi. Votre question, et ce qu’elle ne dit pas explicitement, visent en plein dans le mille. C’est la mécanique derrière tout ça qui compte. Selon nous, et c’est ce qu’on peut lire dans notre rapport, il ne suffit pas de créer un mécanisme de réglementation. Tous les projets qui se retrouveront sur cette liste, ce qui est l’objectif poursuivi par le projet de loi, devraient servir les intérêts du Canada de quatre manières, qui sont d’ailleurs décrites dans notre rapport. Ils doivent stimuler la croissance économique, ils doivent favoriser la durabilité de l’environnement, ils doivent prévoir la participation économique la plus vaste possible des Autochtones et ils doivent faciliter l’accès aux divers marchés, car c’est au cœur de tout ce que nous faisons. Ce sont les quatre facteurs décrits dans notre rapport.

Pour mon troisième et dernier point, peut-être pourrons-nous y revenir plus en détail tout à l’heure, j’estime que le système doit s’adapter à la réalité politique et bureaucratique et faire le lien entre les gouvernements si nous voulons qu’il fonctionne. Autrement dit, il n’y a rien de gagné. Nous parlons ici de projets complexes et de grande envergure, qui doivent être supervisés.

Si c’était moi personnellement qui devais superviser cette liste, j’aurais toujours une feuille de registre comptable avec moi. Tous les jours, je la sortirais de ma poche de veston. Je me demanderais où se situe le projet dans le système et s’il y a des problèmes de financement. Parce que c’est justement le financement qui risque de faire échouer bon nombre de projets. Je peux vous assurer que certains de ceux qui ont été lancés par les provinces ont besoin d’aide, et nous avons les moyens de les aider. Encore faut-il se coordonner. L’approbation réglementaire doit se faire rapidement, et il faut qu’il y ait des organismes gouvernementaux qui travaillent avec les peuples autochtones pour s’occuper de l’aspect « participation économique ». Ce que nous ont dit les peuples autochtones pour notre rapport, c’est qu’ils se sentent ballottés de toutes parts.

Heureusement, l’aspect coordination de la démarche sera énorme. Il faut que ce soit la priorité numéro un du pays, y compris du premier ministre, même si cette tâche peut être confiée aux sous-ministres. J’ai déjà assisté à ce genre de chose, et j’espère qu’il va y avoir un comité qui sera expressément chargé d’exercer une surveillance quotidienne à cet égard.

[Français]

Le sénateur Carignan : Dans votre rapport, vous recommandiez également un délai de deux ans, après quoi le projet serait automatiquement approuvé ou réputé approuvé. Le gouvernement en a parlé dans ses communications, notamment dans ses communiqués de presse, mais ce n’est pas dans la loi. Recommanderiez-vous que ce délai soit inscrit directement dans la loi pour éviter que ce soit seulement une question d’intention politique ou de communiqué de presse?

[Traduction]

M. Khosla : Je vous remercie une fois de plus. C’est une question d’une grande importance. Notre rapport aborde la façon de débloquer les investissements. C’est la thèse que nous avons défendue. Peu de Canadiens connaissent le concept de la décision finale d’investissement. Je m’excuse d’entrer dans des détails techniques, mais c’est un facteur essentiel pour tous ces projets.

Nous avons cherché à savoir comment il serait possible d’arriver à une décision finale d’investissement pour les mégaprojets. L’un des points qui sont ressortis, c’est la question de la certitude que recherchent tant les promoteurs, de toute évidence, que les investisseurs — lesquels, il faut l’admettre, ont quitté le pays. Nous devons les faire revenir. L’utilisation d’un processus avec approbation présumée constituerait un mécanisme ou un levier porteur de certitude. Nous avons dit que le gouvernement devrait examiner cette option, mais ce n’est pas tout. Nous avons aussi dit que, par exemple, si un projet en est à ses débuts, que le gouvernement déclare à la fin du processus qu’il n’est pas approuvé, et que le promoteur a dépensé 1 milliard de dollars — nous avons beaucoup de situations de ce genre au Canada —, le gouvernement devrait peut-être fournir cette assurance à titre de filet de sécurité. L’idée, c’est d’attirer des capitaux aussi vite que possible.

Il s’agit de moyens d’action certains, mais, essentiellement, la création d’un bureau capable de réunir les quatre éléments nécessaires à la réalisation de ces projets fera toute la différence. Nous en avons un exemple. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais la mine de palladium de Marathon, dans le Nord de l’Ontario, a fait l’objet d’un examen de deux ans. Le projet LNG Canada, qui représente un investissement de 60 milliards de dollars au pays, peut-être le plus grand projet à ce jour, a également fait l’objet d’un examen de deux ans. Je pourrais continuer.

Il s’agit de veiller à ce que le système soit coordonné et axé sur le travail à faire. C’est essentiel. J’espère que cela vous aidera. Ramenons un degré de certitude dans le système.

M. Pierce : J’espère que je ne suis pas en train d’enfreindre une règle, mais, au nom de la Chambre de Commerce du Canada, nous recommanderions que ces deux années soient expressément mentionnées dans le projet de loi. Mon collègue a parlé clairement de ce concept que nous soutenons, mais il serait encourageant qu’il soit inscrit dans la loi.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur Khosla, en ce qui concerne le guichet unique, vous avez aussi recommandé de simplifier le processus de consultation sur les projets, y compris les consultations autochtones. Dans le projet de loi C-5, on dit qu’un bureau peut être constitué sans qu’il soit obligatoire de le faire; c’est seulement une possibilité. Ne croyez-vous pas qu’on devrait changer cela? Devrait-on prévoir de façon impérative la création de ce comité, de cet organisme de consultation ou de ce guichet unique dans la loi? Vous savez, on l’a bien lu, votre rapport.

M. Khosla : C’est évident, et merci. Je manque de mots techniques pour vous répondre en français en ce moment.

Le sénateur Carignan : Vous pouvez me répondre en anglais.

[Traduction]

M. Khosla : La réponse est évidente pour nous. Si ces quatre éléments, notamment la consultation, qui fait partie intégrante de l’aspect réglementaire, ne sont pas réunis dans un bureau disposant de l’expertise appropriée, en particulier l’expertise financière, qui, selon nous, fait défaut dans le système actuel, ces projets ne pourront pas avancer.

L’aspect positif, c’est que la consultation a beaucoup évolué au Canada au cours de la dernière décennie, en particulier avec les peuples autochtones. Nous commençons à établir des relations avec eux et nous devons en tirer parti. Les organismes de réglementation sont devenus assez performants par rapport à il y a 10 ans, grâce à tous les progrès réalisés dans ce dossier...

Le sénateur Loffreda : Ma question s’adresse à la Chambre de commerce du Canada. J’accueille favorablement le projet de loi C-5 et je le considère comme une mesure législative importante qui, si elle est mise en œuvre efficacement, a le potentiel d’attirer des investissements importants et de créer des emplois de qualité partout au Canada. Je comprends que l’objectif global de ce projet de loi est d’inspirer confiance aux investisseurs, de signaler que le Canada est prêt à faire des affaires et de répondre aux préoccupations relatives à un environnement commercial incertain et imprévisible. À mon avis, l’inclusion d’un nouveau projet à l’annexe 1 envoie un message fort aux promoteurs. Il ne s’agit plus de savoir si un projet ira de l’avant, mais de déterminer comment il peut être mis en œuvre avec succès. Il s’agit d’obtenir des résultats.

Pouvez-vous parler de façon plus générale de la façon dont, selon vous, le projet de loi C-5 atteindra cet objectif? Je sais que la Chambre de commerce appuie le projet de loi, mais vos membres ont-ils exprimé des préoccupations à son sujet ou au sujet de son application? Pouvez-vous nous parler brièvement des consultations menées au sein de votre organisation et auprès du secteur privé en général avant la présentation de ce projet de loi?

M. Pierce : Merci beaucoup. Je pense que le préambule de votre question met le doigt sur les principaux éléments qui nous amènent à appuyer le projet de loi. Ce dernier fournira un cadre permettant d’examiner les projets de manière méthodique. J’ai aimé ce que la ministre qui vient de témoigner a dit : plutôt que de franchir les étapes selon un ordre séquentiel, ces dernières pourraient être franchies en même temps pour faire avancer les choses. Nous appuyons certainement cette idée.

Nous avons eu l’occasion de consulter certains de nos membres. Je ne peux pas vous dire qui exactement. J’espère que cela vous convient, car il s’agit d’une question de confidentialité. Toutefois, au nom de la chambre de commerce, je peux certainement vous dire que le premier point que nous tenons à soulever au sujet du projet de loi est que nous estimons que le délai de deux ans doit y être inscrit. C’est une excellente idée, qui est largement soutenue par l’industrie et qui a été accueillie très positivement par le gouvernement. Il serait prudent de prévoir une telle disposition dans le projet de loi.

La disposition de caducité est établie à 5 ans. Il va sans dire que bon nombre de ces projets durent beaucoup plus de 5 ans. Nous sommes d’avis qu’elle devrait plutôt être de 10 ans, ne serait-ce que pour tenir compte du cycle de construction et de vie de certains de ces grands projets. Nous craignons par-dessus tout que le projet de loi C-5 se traduise par de grandes avancées, surtout en ce qui concerne l’approbation des projets, mais que les autres projets soient désavantagés. Si un projet n’est pas jugé d’intérêt national, aura-t-il du mal à se financer? Sera-t-il encore coincé dans un processus d’approbation qui s’étire sur 5 ou 10 ans? Ce que nous trouvons encourageant, c’est de voir que l’ensemble des parlementaires semblent vouloir utiliser le projet de loi C-5 pour améliorer le processus d’approbation des projets, mais aussi examiner attentivement et améliorer le cadre réglementaire pour tout ce qui touche l’aspect environnemental du processus d’approbation.

La sénatrice Duncan : Merci à nos invités de s’être déplacés aujourd’hui. Le réseau électrique du Canada constitue une infrastructure essentielle, et il en est très souvent question dans votre rapport. Ce sont les monteurs de ligne qui le réparent quand il y a une panne. Au Yukon, nous espérons que ces mêmes monteurs de ligne pourront bâtir une ligne de transport à partir de la Colombie-Britannique et que ce sera considéré comme un projet d’intérêt national.

(1550)

Ces monteurs de ligne font tous partie de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité. Les propriétaires des entreprises sont membres de la Chambre de commerce du Canada. Les travailleurs canadiens de ce secteur — qui sont hautement qualifiés, qui jouissent d’une renommée internationale et dont la formation comprend un volet sur la sécurité — figurent parmi les meilleurs qui soient dans le monde.

Dans la mesure où l’on souhaite créer un guichet unique et favoriser une approche de type Équipe Canada, qui est chargé de communiquer avec ces travailleurs, qui sont éparpillés un peu partout sur la planète, afin de les convaincre de revenir ici pour travailler à ces projets?

M. Pierce : Je ne peux pas m’avancer sur la position de la Chambre de commerce du Canada à cet égard. Je pourrais toutefois vous revenir plus tard avec une réponse, si vous le permettez.

Notre vice-président exécutif, Matthew Holmes, a dit quelque chose de très intéressant il y a quelques mois. C’était au moment où les droits de douane commençaient à vraiment prendre forme et où l’attention nationale était monopolisée par ce sujet. Chaque crise constitue une occasion de rapatrier les gens de talent et les experts, mais aussi de recruter activement et de solliciter des Américains qui veulent s’établir au Canada et peut-être profiter des avantages qu’offre notre grand pays. Il y a une occasion à saisir, mais je ne peux pas vraiment vous en dire plus. Je suis désolé.

La sénatrice Duncan : Alors on ne sait pas vraiment à qui revient cette tâche? Personne n’a dit à aucune organisation ou agence qu’elle devait s’en occuper?

M. Khosla : Permettez-moi d’intervenir. J’ai parlé de nos dix actions essentielles au début de mon intervention. Il est évident pour nous que si l’on ajoute dix ou vingt projets à cette liste — sans parler de tous les autres projets en cours —, la main-d’œuvre et l’offre de celle-ci deviendront des enjeux de taille. Dans notre rapport, nous indiquons que le bureau stratégique qui sera créé devra absolument s’intéresser à cette question, et que celle-ci devra faire partie intégrante des mesures qu’il prendra. Nous reconnaissons aussi qu’il doit évidemment y avoir une forme de coordination entre les gouvernements fédéral et provinciaux.

Prenons l’exemple de ce qui se passe en Colombie-Britannique en ce moment. C’est très intéressant. La province vient d’approuver une vingtaine de projets alors qu’elle a déjà une multitude de mégaprojets en cours et commence à manquer de ressources. Il s’agit là d’une question stratégique d’intérêt national qui devrait être prise en compte lors de l’approbation de projets. Il serait sans doute judicieux d’organiser une réunion des premiers ministres pour discuter tant des projets que de la question de l’offre de main-d’œuvre à l’échelle nationale, car il devra vraisemblablement y avoir des échanges de personnel.

La sénatrice Clement : Merci à tous ceux qui sont venus témoigner. Ma question s’adresse à M. Pierce, de la Chambre de commerce du Canada. Je vais revenir sur certaines des observations que vous avez faites en ouverture, notamment au sujet de la recommandation 2 concernant les droits des Autochtones et l’accroissement de la confiance et de la certitude, comme je vous ai entendu le dire.

Les communautés autochtones ont exprimé d’importantes préoccupations concernant le projet de loi C-5, notamment celle d’Akwesasne, qui est voisine de la ville où j’habite, Cornwall, en Ontario. L’appel à l’action no 92(i) de la Commission de vérité et réconciliation demande au secteur des entreprises de s’engager à tenir des consultations significatives, d’établir des relations respectueuses et d’obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des peuples autochtones avant de lancer des projets de développement économique.

Dans votre site Web, vous classez les affaires autochtones parmi les enjeux stratégiques, et votre organisation s’est dotée d’un comité de politique sur les affaires autochtones. À la lumière des observations que vous avez faites cet après-midi à titre de leader du secteur des entreprises, qu’est-ce que votre organisation a fait en réponse à l’opposition exprimée par les communautés autochtones?

M. Pierce : Merci. C’est certainement le cas. Nos comités et nos démarches à cet égard, surtout depuis quelques années, sont dirigés par Diana Palmerin-Velasco, de notre bureau, une femme phénoménale qui fait de l’excellent travail auprès de l’industrie et des communautés dans l’ensemble du Canada.

En ce qui concerne le projet de loi C-5 tout particulièrement et la façon dont les communautés autochtones seraient consultées, nous ne pouvons imaginer qu’un projet se rende à la première pelletée de terre s’il n’a pas l’appui de la communauté.

Vu la somme d’argent investie, la réputation et les autres facteurs qui seraient en jeu pour les entreprises participantes, les parties intéressées et le gouvernement, c’est une condition préalable nécessaire pour tout projet d’une telle envergure.

Nous voyons le projet de loi C-5 non pas comme un moyen de sauter des étapes et d’éviter ce genre de consultation, mais plutôt comme une façon de préparer le terrain pour cette consultation. D’ailleurs, c’est indiqué clairement dans le libellé.

Nous ne pouvons imaginer un monde où l’exécution d’un tel projet s’amorcerait sans l’appui de la communauté. J’espère que cela répond à votre question.

La sénatrice Clement : Oui. Comme vous êtes un chef de file du monde des affaires, il est très important de vous entendre dire cela, que ce ne soit pas seulement un message sur le site Web, mais une chose que vous déclarez publiquement. Merci.

Le sénateur C. Deacon : Je poserai ma première question à M. Jansa. Dans vos observations préliminaires, vous avez mis l’accent sur le fait que les normes, les règles et la réglementation sont des infrastructures économiques, le fondement sur lequel nous bâtissons tout. Le sénateur Woo a posé une question à la ministre Freeland concernant l’importance croissante des normes, en particulier dans le contexte du maintien de la dynamique du commerce interprovincial au fil du temps dans bon nombre de ces projets.

Pourriez-vous expliquer un peu plus en détail en quoi la souveraineté ne se limite pas au contrôle territorial de l’exploitation des ressources, mais concerne également la propriété des fondements institutionnels, la gouvernance de l’économie, et la garantie de sa résilience et de son agilité au fil du temps, à un moment où tout change autour de nous? Ensuite, si vous le voulez bien, pourriez-vous nous donner une idée de la manière dont ce processus a été utilisé ailleurs pour rassembler les régions et coordonner leurs priorités et leurs efforts afin d’accélérer les choses au fil du temps? Merci.

M. Jansa : Merci de votre question. Je vais commencer par la deuxième partie. La normalisation au Canada est distincte du système législatif réglementaire, contrairement à ailleurs dans le monde, comme l’Union européenne, les États-Unis ou le Royaume-Uni, où les systèmes législatif, réglementaire et de normalisation sont intégrés. Il y est clair, pour les projets d’intérêt national, que la collaboration entre les secteurs public et privé, en association avec l’établissement de règles, prend la forme de normes, d’instruments et d’évaluations du rendement. Il existe ensuite une présomption de conformité lorsque les organisations sont en conformité.

Malheureusement, le projet de loi C-5 ne fait aucune mention des normes. Pendant ce temps, les provinces et les territoires renvoient à des centaines de milliers de normes, tout comme le fait le fédéral. En adoptant un projet de loi qui tient compte du fait que l’économie repose sur des normes, alors que l’on constate à maintes reprises que différentes versions de normes sont incorporées dans les réglementations à l’échelle du pays, on n’aboutira pas à une situation où la circulation des personnes ou des biens et des services sera fluide.

Je pense que c’est regrettable. Je pense également que vous adoptez une approche descendante pour établir ce qui constitue des exigences comparables. Au lieu de passer par un ministre, il faudrait miser sur le type de processus collaboratif et adaptatif mené par des experts qui est nécessaire pour parvenir à un consensus au sujet des projets, mais aussi des personnes qui, en fin de compte, les mettent en œuvre et élaborent les règles qui garantissent une infrastructure fiable.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup, monsieur Jansa. J’aimerais que chacun d’entre vous réagisse à une chose qui m’a étonné durant les séances d’information technique sur le projet de loi C-5. J’y ai interrogé les fonctionnaires sur l’utilisation des normes et sur leur utilité pour mettre tout le monde sur la même longueur d’onde, puisqu’elles sont inclusives. Tous les intervenants sont présents à la table. Les normes sont transparentes et adaptables en plus d’être constamment mises à jour.

Je suis tombé des nues en entendant les fonctionnaires affirmer que le processus d’élaboration de la réglementation est beaucoup plus transparent et que l’industrie le privilégie. D’après mon expérience, ce n’est pas le cas, et l’adaptabilité n’est assurément pas au rendez-vous. Pourrais-je avoir une réponse de chacun d’entre vous? Comme il me reste environ une minute de temps de parole, vous disposez d’environ 20 secondes chacun.

M. Jansa : La consultation n’est pas synonyme de collaboration. Je dirais donc que le processus réglementaire en soi implique un flux d’information à sens unique, pour ainsi dire, en ce qui concerne les règles qui serviront de référence. L’élaboration de normes, quant à elle, suit un modèle collaboratif fondé sur le consensus, où des acteurs publics, privés, à but non lucratif, universitaires et autochtones se réunissent pour atteindre un objectif commun.

Même si nos systèmes sont relativement distincts de ceux d’autres régions du monde, je dirais que nous ne tirons pas réellement parti d’une approche fondée sur l’expertise dans ce type de discussions.

M. Pierce : Je ne pense pas que nous ayons une préférence particulière entre les normes et la réglementation. Je vous dirais que, dans ma carrière, j’ai vu des processus réglementaires très intéressants, et d’autres très médiocres, et j’ai aussi vu des processus d’élaboration de normes inutiles et d’autres, exemplaires.

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S’il est utilisé efficacement, cet outil permet de réunir à une même table les spécialistes et les personnes touchées par une politique. Nous souhaitons sincèrement que cette consultation ait lieu.

M. Khosla : Cela ne faisait pas l’objet de notre rapport, mais je sais par expérience que, quand elle se fait en collaboration avec l’industrie, l’élaboration de normes peut seulement contribuer à beaucoup mieux structurer les choses et que l’avenir en est facilité.

Pour ce qui est des projets, nous disons très clairement que les organismes de réglementation qui supervisent ces projets sont mal coordonnés. Le cadre en quatre points doit être mieux respecté.

La sénatrice Pupatello : Ma question s’adresse aux trois témoins. C’est la première fois que j’interviens dans cette enceinte, alors ne soyez pas trop sévères à mon égard.

On semble penser que cela est nouveau. En fait, il existe de nombreux exemples où divers ordres de gouvernement ont uni leurs efforts pour élaborer des réglementations, en faciliter le processus, etc. L’Ontario s’est adressé à un gouvernement fédéral précédent pour lui demander de percevoir ses impôts. Nous avons rédigé un accord, stipulant que l’Ontario abolirait son ministère et confierait la tâche au fédéral. L’un d’entre vous a parlé de confiance au début — qu’il faut que les deux parties se fassent confiance pour conclure un accord. On signe sur la ligne pointillée, on les laisse faire et on assouplit une bonne partie de la réglementation en cours de processus.

Il existe d’autres exemples : Hydro One a construit des lignes de transmission. Ce sont les principales lignes de transmission au pays. L’interopérabilité de notre système électrique fait tout simplement défaut, et je suis d’accord avec certains de mes collègues qui ont laissé entendre que cela représente l’une des bases de l’économie.

Que devons-nous ajouter au projet de loi à l’étude aujourd’hui pour que les deux parties soit présentes à la table et disposées à négocier? Est-ce que le délai recommandé, le délai de deux ans, pose problème? Il y a plusieurs années, en Ontario, nous avons dit aux gens de nous donner 60 jours plus pour assouplir la réglementation. Cela devait être approuvé par toutes les parties. Le simple fait de dire que c’est la règle permet parfois de faire bouger les choses, comme par miracle.

Bref, selon vous, que pourrait-on ajouter au projet de loi pour inciter toutes les personnes essentielles à s’asseoir à la table des négociations et à mettre à profit leur expertise, comme certains d’entre vous l’ont suggéré? L’Ontario détient naturellement une expertise en énergie nucléaire. Si nous voulons construire davantage de petits réacteurs modulaires dans tout le pays, l’expérience de l’Ontario en matière de réglementation pourrait clairement être utile à l’échelle nationale. Quand il s’agit d’hydroélectricité, le Québec est clairement l’expert. Il faudrait tenir compte des connaissances qui existent et voir quand nous pouvons les réutiliser sans avoir à les recréer. Selon vous, est-il possible d’inclure ce type de formulation dans le projet de loi?

M. Khosla : Je vais commencer. C’est une excellente question. Je vais tenter de répondre de manière très simple, mais je vous réfère à nouveau au rapport, car il comprend des éléments plus complexes que vous aimeriez peut-être ajouter au projet de loi, ce qui répondrait à votre question. Premièrement, parlons des investissements. Le Canada doit se pencher sérieusement sur cette question. Si les mots « investissements » et « accroître les investissements » dans ces domaines ne figurent pas dans le projet de loi, si ce n’est pas le point central, s’il n’y a pas cette rigueur, si accroître les investissements dans ces domaines n’est pas le but, alors nous n’aurons pas fait ce que nous devons faire. Je pense que c’est une bonne réponse.

Deuxièmement, comment la gouvernance et la reddition de comptes fonctionnent-elles relativement à cela? Nous pouvons débattre pour savoir s’il s’agit d’une question législative ou non, mais je pense que c’est essentiel. Par exemple, la réunion des premiers ministres convoquée par le premier ministre était une bonne initiative. Cependant, ne faudrait-il pas mettre en place un processus régulier pour faire le suivi de tout cela?

Pour donner suite à ce que vous avez soulevé au sujet de notre expertise dans chaque province, nous sommes un pays riche dans les domaines de l’énergie, des ressources minières, des forêts et de l’agriculture. Il faut mettre à profit tous ces atouts pour arriver à stimuler la croissance du PIB. Cela nécessite une gouvernance rigoureuse à partir du premier échelon, le premier ministre, sans perdre de force aux échelons inférieurs. Je dirais que les aspects administratifs ont une grande incidence, surtout entre les instances gouvernementales fédérale et provinciales. C’est la pierre angulaire qui permettra de faire avancer les choses, car elle rassemble les quatre piliers. En effet, nous avons remarqué que les projets stagnent quand l’un ou l’autre des piliers n’est pas aligné. Les projets n’aboutissent pas dans notre pays parce qu’ils ne prennent pas appui sur les quatre piliers, en particulier celui du financement. C’est là où les instances gouvernementales pourraient unir leurs forces. Il ne s’agit pas d’aller chercher des sommes énormes dans les poches des contribuables, mais bien d’un minimum de fonds qui peuvent réellement faire pencher la balance pour certains de ces projets.

À titre d’exemple, j’en reviens au projet LNG Canada. Le gouvernement fédéral a investi 250 millions de dollars dans ce projet afin d’assurer un investissement de 60 milliards de dollars. Dans ce dossier, le gouvernement provincial a collaboré avec le gouvernement fédéral au moyen d’une réduction des taux d’imposition. Cela a permis de lancer l’un des plus grands projets au Canada.

Le président : Je vous remercie. Je suis désolé de devoir vous interrompre à nouveau.

Le sénateur Cardozo : Je remercie les témoins de leur présence. Je vais commencer par MM. Pierce et Detchou, de la Chambre de commerce du Canada. Je vous entends demander une certitude réglementaire crédible. Avez-vous des préoccupations au sujet des articles 21, 22 et 23, qui permettent au gouvernement de passer outre une liste de lois? Qu’en pensez-vous?

Monsieur Khosla, je constate que vous êtes préoccupé par la surveillance des projets une fois qu’ils sont lancés. L’un des enjeux que vous avez mentionnés est la mise en place d’infrastructures. Parfois, j’entends cette idée comme un euphémisme qui signifie vouloir que le gouvernement dépense d’importantes sommes d’argent pour les routes, les pipelines et les ports. Si c’est le cas, je comprends. Seriez-vous favorable à des dépenses déficitaires pour y parvenir?

Normalement, le secteur privé demande au gouvernement d’éliminer les obstacles réglementaires et de laisser les choses suivre leur cours. Ce que je vous entends dire, c’est ceci : « Non, non, non. Organisons-nous d’abord, établissons des normes, mettons en place des processus et précisons ce que l’on veut. » Pensez-vous que nous allons trop vite? Craignez-vous que nous nous retrouvions un jour devant les tribunaux au sujet de certaines de ces questions?

M. Jansa : De mon point de vue, pour mes collègues ici présents, c’est un pas dans la bonne direction, mais c’est mettre la charrue devant les bœufs. Nous parlons d’un objectif louable, celui de la compatibilité des exigences. Or, le projet de loi ne prévoit aucune structure pour y parvenir. C’est l’idée que je tente de faire valoir : il faut que le processus soit mené par des experts, qu’il soit fondé sur un consensus et qu’il s’appuie sur les secteurs public et privé. Rien de cela n’est inclus dans le projet de loi.

Il n’y a aucune disposition qui porte sur les normes, alors que ces dernières expliquent à bien des égards les nombreux obstacles au commerce interprovincial.

M. Pierce : Les entreprises veulent que le gouvernement et le processus d’approbation soient prévisibles et crédibles. À notre avis, le fait d’avoir un objectif sans savoir comment y arriver en raison des réglementations contradictoires des différents ordres de gouvernement pose problème. Pour répondre à votre question, nous pensons que tout projet d’une telle envergure devrait avoir préséance sur certaines lois. Il faut en tenir compte d’une manière ou d’une autre.

Encore une fois, je m’éloigne quelque peu du cadre commercial, mais le processus est très clairement défini dans le projet de loi : certains éléments invariables doivent être respectés, mais ces principes fondamentaux s’appliquent dès lors qu’un processus est porté à la connaissance du public.

L’important, je le répète, c’est d’indiquer au milieu des affaires en quoi consiste le processus afin qu’il puisse jouer son rôle. Si les règles sont susceptibles de changer à tout moment, cela limitera les investissements.

Le sénateur Cardozo : Vous estimez que le processus n’est pas défini assez clairement à ce stade-ci.

M. Pierce : Non, et je ne pense pas qu’il serait possible de le faire dans la mesure législative à ce stade-ci. Ce n’est certainement pas un reproche. Nous estimons qu’il s’agit d’une étape importante pour clarifier le fonctionnement du mécanisme, et le plus tôt sera le mieux.

M. Khosla : J’ai beaucoup aimé le premier point que vous avez soulevé, qui portait sur la surveillance. Nous pensons que cette stratégie doit désormais être mise en œuvre avec discrétion, discipline et détermination. Nous pensons que de nombreux projets peuvent aller de l’avant, et ces derniers doivent être réalisés rapidement compte tenu de la situation économique actuelle et de notre présence actuelle sur la scène internationale.

Il devrait aller de soi que le gaz naturel est une ressource essentielle à exploiter. Nous disposons de réserves très riches dans l’Ouest canadien, et aucun autre pays ne resterait les bras croisés au lieu de les exploiter comme nous le faisons actuellement. La réponse simple est que, de manière générale, nous estimons que les projets doivent avancer plus rapidement.

Pour répondre à la deuxième partie de votre question, qui porte sur les infrastructures facilitantes, notre rapport contient deux parties à ce sujet. La première est... Vous avez raison, de manière générale. Certains éléments représenteront-ils des obstacles? Par exemple, le Cercle de feu. On en parle depuis une éternité, n’est-ce pas? Si on commence à libérer le potentiel de ces minéraux critiques, s’ils finissent par être extraits, où iront-ils? Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais le port de Vancouver est plutôt congestionné, alors c’est l’un des éléments. Ce devrait éventuellement être le premier projet au haut de la liste des priorités. Je ne suis pas certain. C’est une chose que nous avons indiquée dans notre rapport.

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La deuxième chose, c’est de ne pas regarder les projets de façon statique. Autrement dit, la plupart de ces projets comptent de nombreux éléments différents. L’exemple que je vous donnerais est celui d’une ligne de transport jusqu’à une mine. Souvent, on ne fait l’examen que d’un élément.

En ce qui concerne le dernier élément, non, je ne ferais pas de dépenses déficitaires. Au début, j’ai parlé des agences de financement. Elles ont plein de capitaux. Il faut que leurs efforts soient alignés. Elles devraient mettre les capitaux accumulés à contribution et commencer à agir. Il y a même des crédits d’impôt à l’investissement. Je ne crois pas que beaucoup d’autres dépenses soient nécessaires à moins d’un projet spécial qui exige des milliards de dollars. Le projet TMX est un de ces exemples, mais l’argent est là. Commençons à agir puis à faire revenir les capitaux au pays. Vous savez, les Allemands étaient prêts à investir un milliard de dollars ici il y a quelques années et nous n’avons pas su quoi en faire. C’est de ce genre de situations dont nous parlons.

Le sénateur Wilson : Ma question s’adresse à M. Pierce, de la Chambre de commerce du Canada. En fait, n’importe qui peut y répondre. Bien que le projet de loi C-5 soit un grand pas en avant pour rétablir la confiance des investisseurs envers le Canada en soutenant des projets qui seront avantageux pour notre économie, nous devons reconnaître que la réglementation au sens large nécessite une attention supplémentaire.

Monsieur Pierce, dans vos observations, vous avez mentionné l’écoblanchiment. L’an dernier, le Parlement a adopté le projet de loi C-59, y compris un amendement tardif concernant l’écoblanchiment qui s’applique de manière générale à toute personne faisant une déclaration au sujet d’une entreprise ou d’une activité commerciale en rapport avec l’environnement. Bien qu’il vise à protéger les consommateurs contre la publicité mensongère et les déclarations environnementales trompeuses concernant les produits ou les activités d’une entreprise, l’amendement a, dans la pratique, des applications beaucoup plus larges que cela, entraînant d’importantes conséquences imprévues. Pouvez-vous nous parler de l’incidence de cet amendement sur l’écoblanchiment apporté à l’ancien projet de loi C-59 et expliquer le lien avec le projet de loi que nous examinons actuellement?

M. Pierce : Merci beaucoup pour la question.

Voici un excellent exemple d’une mesure législative qui a été adoptée sans doute avec de bonnes intentions, qui a été mise en œuvre, je suppose, par un organisme quasi gouvernemental et un ministère à part entière, et qui a créé une incertitude incroyable dans le monde des affaires quant à ce qui peut et ne peut pas être dit en matière d’allégations environnementales à propos d’un projet. À tel point que — et je ne connais pas d’autre exemple en la matière — le ministère de l’Environnement et du Changement climatique a écrit au commissaire de la concurrence, dans le cadre du processus de consultation publique, pour souligner les risques que cette mesure ne freine ou n’entrave la participation des entreprises travaillant avec lui.

Le projet de loi C-59 est un exemple parmi tant d’autres. Le problème, c’est que le monde des affaires marque un temps d’arrêt et se demande : « Où allons-nous engager des fonds? Où allons-nous investir? Dans quels projets allons-nous investir? » Quand ces investisseurs voient un cadre réglementaire comme celui du Canada, ils choisissent d’aller ailleurs, parce que, de leur point de vue, pourquoi prendraient-ils des risques?

Je vais vérifier auprès de mon patron pour être sûr de ne pas me tromper, mais, pour une infraction liée à l’écoblanchiment, je crois que le montant de la sanction équivaut à 3 % des revenus globaux. Je vous mets au défi de trouver une seule société minière dans le monde qui serait prête à assumer un tel risque. Cette mesure est déjà en vigueur. Le Bureau du commissaire de la concurrence a récemment communiqué à l’industrie des précisions à ce sujet. Cependant, il y a des dispositions sur le droit privé d’action qui entreront en vigueur ce mois-ci, le 20 juin, et toute organisation peut poursuivre une entreprise pour avoir fait des allégations fausses ou trompeuses selon certaines normes internationales. Or, ces normes ne sont pas définies. On ne fournit donc aucune précision sur les normes à suivre.

Ayant parlé avec certaines entreprises, je peux vous dire qu’elles ne veulent pas investir au Canada dans de telles circonstances. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Je vous remercie de la question.

Le sénateur Wilson : Voici une question complémentaire ou une deuxième question pour M. Khosla. Je vous remercie d’avoir mentionné le Terminal 2 à Roberts Bank. C’est un projet que je connais bien grâce à ma vie antérieure : le processus réglementaire menant à une approbation a duré 10 ans, et j’étais présent pour chacune de ces 10 années. Je souligne que le projet n’a pas encore reçu l’approbation finale, car il doit encore obtenir une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches.

Y a-t-il des éléments à prendre en considération dans ce projet de loi en ce qui concerne, par exemple, les liens entre certains projets de l’intérieur des terres et les portes d’entrée ou les corridors de transport? Si nous construisons une chose formidable dans une partie du pays mais qu’elle pas reliée à un autre élément, son utilité sera limitée.

M. Khosla : C’est un excellent argument. Je pense que cela touche la partie du projet de loi où sont inscrits les projets. Pour l’instant, nous ne disposons pas de la liste des projets. Elle sera probablement annexée à la loi. Une fois que cette liste de projets aura été établie, vous pourrez constater la diversité des projets inclus. Nous devons nous poser une question sérieuse : peut-on monétiser ces propositions?

Par exemple, en ce qui concerne le financement, nous devrions être en mesure de vérifier la sécurité financière de chacun de ces projets au fur et à mesure qu’ils sont inscrits sur la liste. Nous ne voulons pas laisser passer de mauvais projets dans le système, tant sur le plan environnemental que sur le plan financier. La sécurité financière ou la possibilité d’investissement d’un projet signifie également que, quoi qu’il advienne, on pourra atteindre d’autres marchés et aider d’autres régions. Il faut donc envisager les choses sous deux angles. Voilà pourquoi ce bureau, peu importe comment il agira, est d’une importance capitale. Il ne peut pas se contenter de s’occuper de la réglementation. Il doit absolument avoir une vision globale, comme vous l’avez dit.

En ce qui concerne le projet du Terminal 2 à Roberts Bank et tout autre point d’accès dans l’Ouest, je suis d’avis, comme beaucoup d’autres, qu’il y a des problèmes d’accès aux ports dans ce pays. On pourrait parler de Churchill, au Manitoba. C’est un excellent scénario à long terme. Il nous manque quelque chose dans l’Ouest. Il faut espérer que le Terminal 2 à Roberts Bank sera approuvé bien avant que cela ne se produise.

La sénatrice Moncion : Je voudrais revenir sur ce que vous venez de dire. J’aimerais parler de capacité, car je pense que le projet de loi C-5 ouvre simplement la voie à ce que le pays peut faire, et je pense qu’il accélère certains projets.

Pourriez-vous maintenant parler de capacité? Vous avez mentionné bon nombre d’éléments, et je vais vous donner quelques exemples. Vous avez parlé du Cercle de feu dans le Nord de l’Ontario, et vous avez évoqué l’acheminement de minéraux essentiels vers le port de Vancouver. Vous venez également de mentionner un port à Churchill, qui serait probablement une solution beaucoup plus judicieuse, mais cela prendra bien des années d’ici à ce que le port de Churchill soit construit. Vous avez parlé du projet de gaz naturel liquéfié. Au Québec, il y a les projets d’expansion de Churchill Falls et de Gull Island.

Il y a une capacité tant au niveau des investissements que de la main-d’œuvre. J’aimerais vous entendre tous les trois sur les différents aspects des capacités en matière de réglementation ou de gouvernance, tant au niveau de la main-d’œuvre que des investisseurs.

M. Khosla : Je répondrai volontiers à cette question. Si j’ai bien compris votre question, vous voulez savoir si nous avons la capacité nécessaire. Tout d’abord, il faut mettre en place des structures très rapidement. Rappelons-nous que, durant la pandémie de COVID-19, nous avons eu un exemple de mise en œuvre rapide de mesures prises par les politiciens et l’appareil gouvernemental pour adapter le système. On voit donc que c’est possible. Je pense également au Bureau de gestion des grands projets du gouvernement fédéral, qui n’existe plus aujourd’hui. Nous avons besoin d’un organe de gouvernance et de reddition de comptes pour réaliser les grands projets.

Vient ensuite le problème de la capacité. La gouvernance arrive en premier lieu et elle doit être rigoureuse et ciblée. Tout juste derrière vient l’une des plus grandes lacunes que nous avons constatées dans tous les projets sur lesquels nous avons travaillé : l’aspect financier de ces projets. Il est temps que les gouvernements s’en mêlent. Ce n’est pas qu’une question de réglementation. Il pourrait être judicieux de faire appel à l’expertise de la Banque de l’infrastructure du Canada, par exemple. Le gouvernement commence à aller dans cette direction avec le Programme de croissance propre. C’est un aspect qui doit être au centre des préoccupations, et j’entends par là que le Bureau du Conseil privé ou un autre organisme devrait exercer une surveillance, parce que je crois comprendre que ce dossier relèvera du ministre LeBlanc.

Ce qui importe le plus, c’est que ces gens disposent d’un bureau qui harmonise le financement et la participation économique réglementaire et autochtone. Nous dirions que sans la participation économique des Autochtones, il vous sera très difficile de faire avancer ces projets. Il devrait s’agir d’une sorte de précurseur, mais vous avez besoin de ces organisations. La capacité de financement, l’analyse financière, la capacité de faire preuve de discipline et la capacité d’examiner rapidement la situation sont, à mon avis, certains des éléments dans lesquels il faut investir en priorité, si l’on peut dire.

M. Pierce : Du point de vue particulier de la Chambre de commerce du Canada, la main-d’œuvre nécessaire pour mener à bien ces projets n’est pas un problème auquel nous nous sommes attaqués jusqu’à présent. Cependant, je peux vous dire par expérience qu’un changement de culture est requis pour encourager les carrières dans le secteur des ressources, tant chez les jeunes que chez les personnes en milieu de carrière. Les gens changent de carrière. Bien sûr, comme l’éducation et le recyclage professionnel relèvent de la compétence des provinces, j’encourage nos partenaires provinciaux à agir en ce sens. S’il existe un moyen d’encourager cela et de valoriser ces projets et le secteur des ressources en tant que pays, voire presque en tant que culture, je pense que cela contribuera grandement à l’atteinte de cet objectif.

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M. Jansa : Nous avons besoin d’un processus de gouvernance qui guide la coordination et l’intégration. Nous avons besoin de structures. Dans sa forme actuelle, le projet de loi prévoit simplement que la décision finale revient à la personne chargée de l’administration de la réglementation en question. Je pense que cela ne permet pas de tirer parti des capacités et de l’expertise nécessaires pour éliminer les obstacles au commerce auxquels nous nous heurtons quotidiennement.

La sénatrice Moodie : Monsieur Jansa, cette question s’adresse principalement à vous.

Le Canada a besoin d’énormément d’énergie, non seulement pour la vie quotidienne de sa population, mais aussi pour alimenter son économie qui dépend de plus en plus des technologies. Je pense notamment à l’intelligence artificielle — qui est essentielle à notre pertinence économique à long terme — et à l’augmentation de la consommation d’énergie qu’elle entraîne.

Les modifications proposées dans la partie 2 de la mesure législative renforceront-elles notre économie numérique? Dans votre réponse, pourriez-vous nous faire part de vos réflexions sur les normes relatives à la production d’énergie, en particulier celles qui concernent l’utilisation des nouvelles technologies?

M. Jansa : Je vous remercie de la question.

En ce qui concerne le contenu du projet de loi C-5, il est question de l’intérêt national. À la lecture du projet de loi, je ne sais pas très bien ce qu’on entend par « infrastructures », s’il s’agit simplement d’infrastructures physiques. On parle de ponts, de ports et de ce genre de choses, mais on laisse de côté les infrastructures numériques. Pour en venir à votre question sur l’intelligence artificielle, quand on pense aux types de centres de données requis et à la quantité d’électricité nécessaire pour les alimenter, les services publics d’électricité se demandent actuellement s’ils doivent donner la priorité à la construction de nouveaux logements, parce que nous avons une crise du logement, ou aux centres de données indispensables pour garantir notre souveraineté en tant que pays et éviter que notre infrastructure numérique ne s’effondre d’elle-même. C’est sans parler des intérêts étrangers, comme les États-Unis, qui ont la capacité de tout éteindre ici au Canada, parce que nous n’avons pas d’infrastructure numérique souveraine.

Le libellé du projet de loi n’est donc clair sur aucun de ces points. J’encourage vivement les sénateurs, ainsi que les députés, à préciser ce qu’ils entendent par « infrastructures » lorsqu’il est question de souveraineté et d’intérêt national.

Le président : Les parrains du projet de loi, le sénateur Yussuff et la sénatrice Petten du bureau du représentant du gouvernement, se partageront les 10 dernières minutes.

Le sénateur Yussuff : [...] Chambre qui lutte depuis longtemps contre les barrières commerciales interprovinciales. Compte tenu de mon âge, je me rends compte que cela pourrait se produire de mon vivant. Notre pays a 158 ans, ce qui devrait nous rappeler le temps et l’énergie qu’il nous faudra pour y parvenir. Nous n’y sommes pas encore. Ce n’est que la première étape d’un long processus visant à réaliser le potentiel du pays à partir de ses diverses régions. À terme, compte tenu de la crise que nous traversons, j’espère que les parlementaires sauront saisir cette occasion.

Ceux d’entre vous qui défendent ce projet de loi doivent reconnaître le temps qu’il nous a fallu pour en arriver là.

À cet égard, le projet de loi comporte deux parties. Il y a la partie interprovinciale, sur laquelle les premiers ministres travaillent d’arrache-pied pour trouver une solution, et l’autre partie concerne la manière de bâtir le pays afin de saisir les occasions qui se présenteront compte tenu des capacités dont le pays aura besoin à l’avenir. Compte tenu de l’urgence de la situation — nous en sommes presque à la fin des travaux avant la pause estivale —, dites-moi dans quelle mesure il est important pour nous de bien faire les choses et d’adopter ce projet de loi dans les délais qui nous sont impartis pour l’étudier.

M. Pierce : Je vous remercie beaucoup de la question et de vos bons mots au sujet de la Chambre de commerce du Canada.

La dernière question portait sur l’intelligence artificielle et les exigences que celle-ci imposera à notre système. Il y a aussi la construction de logements ainsi que les occasions d’affaires qui explosent, et plein d’autres belles occasions qui demandent de l’énergie. Dans le cadre de notre communiqué du B7 2025, nous avons déterminé que la demande d’énergie augmentera de 50 % d’ici 2050. Malheureusement, on ne considère pas cette situation comme une crise. La crise, c’est plutôt ce qui découle de l’imposition de droits de douane par les États-Unis. C’est cet enjeu qui a attiré l’attention du public.

Je pense que nous avons l’occasion de tirer parti de cette situation pour résoudre ce qui est, à mon avis, la véritable crise, à savoir que d’ici quelques années à peine, nous pourrions venir à manquer d’électricité ou de ressources. L’augmentation de la production d’énergie doit se faire maintenant.

Je pense que notre PDG a bien résumé la situation : nous avons accompli beaucoup de choses, progressivement, au cours des 20, 30 ou 40 dernières années, en travaillant et en encourageant les systèmes à évoluer. Au cours des six derniers mois, nous avons constaté que cette façon de faire est révolue. Il est temps de bâtir et d’investir. Le secteur privé est prêt à soutenir le gouvernement et le secteur public à cet égard, car si nous n’agissons pas, les difficultés qui toucheront notre économie et nos entreprises seront très graves et très difficiles à surmonter.

M. Khosla : Je n’aurais pas pu mieux dire.

Nous sommes dans une situation difficile et nous devons agir. Une grande partie de la solution se trouve dans le projet de loi. Comme la perfection est l’ennemi du bien, si nous prenons trop de temps pour bien faire les choses, nous aurons raté l’occasion. Selon nos estimations, nous disposons d’un délai de trois ou quatre ans. Peut-être que les choses se stabiliseront après cela, mais il faut établir un certain nombre de partenariats en dehors du projet de loi. Nous verrons s’ils se concrétisent.

Plus important encore, si les projets, quels qu’ils soient et quel que soit leur nombre, ne sont pas mis en œuvre rapidement et correctement, nous n’atteindrons pas la cible de PIB que nous nous sommes fixée et, par conséquent, comme vous l’avez dit, nous n’aurons pas rendu service au pays.

La priorité absolue pour y parvenir, c’est que les gouvernements fédéral et provinciaux établissent des partenariats avec les peuples autochtones, ainsi qu’avec l’industrie.

C’est essentiellement une question de financement. Cela doit être notre théorie. Nous tentons d’attirer de nouveau les investissements au pays afin que les projets puissent être désormais autonomes.

Enfin, j’aime beaucoup le point soulevé au sujet des actifs stratégiques. Je suis sûr que la plupart des gens ici le savent, mais nous sommes à court d’énergie hydroélectrique propre depuis deux ans. Nous devrions y réfléchir.

J’aime beaucoup la question sur Gull Island. C’est une question que nous voulons examiner de manière plus stratégique.

Tout cela doit se faire rapidement et de manière stratégique. Nous devons faire preuve de discipline. Il est vraiment temps de passer à l’action.

Le sénateur Yussuff : Vous entendez probablement des déclarations publiques à plusieurs égards : la consultation auprès des Autochtones, qui est essentielle à l’avenir du pays, et l’environnement, car les Canadiens ne veulent pas se soustraire à leur responsabilité en tant que gardiens de l’environnement.

Enfin, nous sommes aux prises avec la réalité dans laquelle nous vivons, c’est-à-dire une période de changements climatiques qui affectent notre vie de tous les jours. Dans le contexte de l’adoption du projet de loi, dans quelle mesure est-il important de bien faire les choses?

M. Pierce : Je vais me permettre de répondre avant mes collègues pour dire que c’est crucial. Si on ne fait pas les choses correctement, nous nous retrouverons devant les tribunaux. Nous serons aux prises avec un débat politique qui nous empêchera d’avancer. Le milieu des affaires et les investisseurs nous tourneront le dos et les investissements étrangers directs se tariront, simplement parce que le système n’est pas assez fiable et prévisible pour que l’on puisse compter dessus et y investir.

Comme je l’ai dit au début de mon intervention, il est crucial de tenir compte de ces considérations pour que le système qui sera mis en place soit viable.

M. Khosla : En ce qui concerne l’ampleur des investissements récents dans notre réseau électrique, je dirais très rapidement que, selon une excellente étude réalisée par RBC, il faudrait entre 2 et 3 billions de dollars pour décarboner notre système. Nous sommes loin du compte. Ces investissements ne se font pas, et ces projets n’avancent pas. Il est temps d’aller de l’avant.

Les lignes de transmission est-ouest en sont un parfait exemple. Combien en construit-on, alors que nous vivons une crise climatique? Cela fait partie des solutions potentielles. Ne devrions-nous pas nous pencher davantage sur les petits réacteurs modulaires? Le Canada est un pays nucléaire de premier plan. Ontario Power Generation, ou OPG, va de l’avant. Penchons-nous sur l’ensemble de notre flotte nucléaire.

C’est un problème systémique. Il y a des ressources inexploitées dans notre sous-sol qui font partie des solutions et dont on devrait tirer parti.

La sénatrice Petten : Ma question s’adresse à M. Pierce.

(1630)

Dans ma province, il y a de l’incertitude dans un certain nombre de secteurs, notamment le secteur minier, en raison des droits de douane imposés par les États-Unis. Étant donné que le tiers des exportations de nickel de Terre-Neuve-et-Labrador sont destinées aux États-Unis, selon vous, en quoi ce projet de loi redonnera-t-il confiance aux industries de Terre-Neuve-et-Labrador?

M. Pierce : Excellente question. Merci. Je pense que ce sont les droits de douane et le contexte commercial qui ont mené à la naissance du projet de loi. Je pense que ce dernier nous donne un cadre pour diversifier nos marchés et faire affaire avec des pays qui ont les mêmes idées que nous, au-delà des États-Unis, ce qui représente une occasion pour tout le monde et pour tous les secteurs d’exportation.

Il est malheureux qu’il ait fallu attendre une influence de l’extérieur comme les mesures prises par l’administration américaine au cours des six derniers mois pour bien nous faire comprendre la situation. Il y a un argument qu’on entend sans cesse : la solution est d’accroître le commerce avec l’Europe. Eh bien, c’est une affirmation incroyable. Cela exige d’être présent en Europe, de connaître la clientèle et d’y faire des ventes pour commencer à favoriser l’activité économique là-bas. Cela ne se fait pas du jour au lendemain et c’est sans compter le fait que nous ne disposons pas nécessairement des infrastructures requises pour acheminer nos produits et nos ressources vers les marchés pour répondre aux demandes.

Je pense que le projet de loi nous offre une excellente occasion de le faire. Nous sommes loin du compte. Nous en sommes réellement aux premiers pas de ce qui se veut — la Chambre de Commerce du Canada et moi l’espérons — un examen méthodique de la façon dont le gouvernement perçoit l’investissement dans les ressources et les infrastructures.

Dans un autre exemple, nous avons parlé des dispositions relatives à l’écoblanchiment. De nombreux autres règlements me viennent à l’esprit. Je pense au concept même des règlements utilisés lorsqu’il y a une ambiguïté dans la mise en place des processus. Dans le cadre d’un processus réglementaire approprié, il faut mettre en évidence le rapport coûts-avantages du règlement. Quelle est son incidence sur l’industrie? La manière dont le gouvernement aboutit aux chiffres qui alimentent l’analyse coûts-avantages peut faire réussir ou échouer le règlement, mais il n’y a pas de clarté sur la manière dont ce processus est mis en place. Cela a pour effet, une fois de plus, de faire reculer les entreprises et de les amener à réévaluer leurs investissements, et ce sont des investissements assez importants qui sont en jeu.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, le comité siège depuis maintenant 75 minutes, et je regrette de devoir interrompre les délibérations afin que le comité puisse poursuivre avec le troisième panel.

Au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi.

Des voix : Bravo!

Le président : Honorables sénateurs, nous allons suspendre pendant 10 minutes afin de nous préparer pour le troisième panel. Nous allons reprendre à 16 h 41.

(La séance du comité est suspendue.)

[Traduction]

(La séance du comité reprend.)

(1640)

Le président : (Conformément à l’ordre adopté par le Sénat, les témoins prennent place dans la salle du Sénat.)

Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance en comité plénier afin de poursuivre son étude sur la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada.

Le comité entendra maintenant Cindy Woodhouse Nepinak, Cheffe nationale, Assemblée des Premières Nations; Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami; David Chartrand, président, Fédération des Métis du Manitoba.

Je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui. Je vous invite à faire vos observations préliminaires.

Cindy Woodhouse Nepinak, Cheffe nationale, Assemblée des Premières Nations : [Note de la rédaction : Mme Woodhouse Nepinak s’exprime dans une langue autochtone.]

Comme l’a dit notre souverain, bienvenue sur les terres des Algonquins anishinabes. Nous remercions la nation d’accueillir ce rassemblement aujourd’hui.

Je suis ici à quelques heures de préavis seulement. Je sais que nous faisons pression pour que les Premières Nations soient représentées en cet endroit et puissent s’exprimer au sujet de ce projet de loi dont on précipite l’étude. Je suis censée venir témoigner mercredi. C’est ce que j’ai demandé. J’espère faire en sorte que les Premières Nations soient respectées. J’espère qu’on trouvera du temps pour les détenteurs de droits des Premières Nations mercredi. On m’avait offert de témoigner à ce moment-là. Je suis donc convaincue qu’on pourra trouver du temps pour permettre aux détenteurs de droits des Premières Nations de venir exprimer leur point de vue.

Il est important qu’on nous reconnaisse en adoptant une approche fondée sur les distinctions, que l’on respecte la relation unique des Premières Nations avec la Couronne et que l’on entende les préoccupations particulières des Premières Nations à l’égard de ce projet de loi.

Le Canada est situé sur les terres des Premières Nations. Puisque le pays souhaite accélérer des projets, nous devrions discuter aujourd’hui d’accélérer la construction d’écoles modernes pour les enfants dans les collectivités des Premières Nations. Cela fait beaucoup trop longtemps que nous attendons et réclamons que le gouvernement satisfasse les besoins des Premières Nations en matière d’infrastructure.

J’aimerais que nous parlions également d’un processus accéléré pour l’accès à l’eau potable et à des logements de qualité pour les Premières Nations, ou d’un processus accéléré pour construire des routes praticables en toutes saisons. Il y a quelques semaines, nous avons vu des gens faire la file pour quitter leur communauté parce qu’ils n’avaient pas de routes praticables. Il y a aussi l’accès fiable à Internet haute vitesse dont bénéficient beaucoup d’enfants hors des réserves, dans les villes et les localités. Nos enfants veulent être traités sur un pied d’égalité dans ce pays, et ils ne le sont pas actuellement.

Malheureusement, nous ne sommes pas là pour cela, mais nous devrions l’être. C’est malheureux.

Au lieu de cela, en l’absence d’une résolution particulière me donnant le mandat de m’exprimer au sujet du projet de loi C-5, comme le fait habituellement l’Assemblée des Premières Nations, je m’adresse à vous aujourd’hui à titre urgent, conformément à la charte de l’assemblée, au titre de la mission générale de porte-parole du Chef national et sans qu’aucun préjudice ne soit porté aux droits d’aucun détenteur de droits des Premières Nations.

Le projet de loi C-5 est l’un des projets de loi fédéraux les plus importants auxquels les Premières Nations ont été confrontées ces dernières années. Les pouvoirs qu’il confère sont considérables et présentent un risque non négligeable pour de nombreux droits collectifs des Premières Nations garantis par nos propres lois, la Constitution et le droit international. Par conséquent, la Couronne a l’obligation de mener des consultations approfondies et d’obtenir le consentement des Premières Nations.

Dans le discours du Trône du 27 mai, la Couronne a déclaré :

Tout en mettant de l’avant ses projets d’intérêt national, le Gouvernement restera résolument guidé par le principe du consentement libre, préalable et éclairé.

Malgré cet engagement clair communiqué par le souverain, les détenteurs de droits et les organisations des Premières Nations se sont vu accorder un délai déraisonnablement court — tant avant qu’après le dépôt du projet de loi — et peu de possibilités d’avoir des discussions de fond. Il semble que très peu de détenteurs de droits auront la possibilité de s’adresser directement au pouvoir exécutif ou aux parlementaires avant que le Parlement ne décide du sort de ce projet de loi et de la forme qu’il prendra.

Quant aux détenteurs de droits ou aux organisations des Premières Nations qui pourront intervenir, comment pourront-ils, en cinq minutes, non seulement énumérer les questions juridiques en jeu, mais aussi partager leur analyse et leurs conclusions à propos des enjeux cruciaux? Bref, la Couronne fait fi de décennies de directives judiciaires sur ce que suppose une consultation approfondie lorsque les droits des Premières Nations sont gravement menacés.

La Couronne ne respecte pas les obligations de consentement en vertu de l’article 19 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En bref, l’honneur de la Couronne n’est pas respecté.

Une consultation approfondie suppose un échange bidirectionnel de renseignements accompagné d’un dialogue substantiel. Il ne s’agit pas simplement d’inviter les détenteurs de droits des Premières Nations à s’exprimer pendant cinq minutes ou à soumettre des mémoires en restant à distance.

Dans le cadre d’une consultation, la Couronne ne peut pas simplement écouter, puis s’en aller et prendre des décisions de son propre chef, sans dialogue et sans échange sur le contenu et la portée des droits des Premières Nations et des obligations correspondantes qui reviennent à la Couronne en vertu de la Constitution, des traités et du droit international.

La Couronne n’a transmis les renseignements précis sur ce projet de loi que le 6 juin 2025, après en avoir donné un résumé le 23 mai. Nous avons eu sept jours pour répondre.

Tandis que nous sommes assis ici au Sénat, le monde de 34 Premières Nations est littéralement en train de brûler à cause des changements climatiques causés par l’activité humaine. Les Premières Nations touchées n’ont aucun répit pour donner leur avis ou consulter la Couronne au sujet de ce projet de loi, à moins qu’elles n’aient une baguette magique leur permettant de protéger des vies, d’obtenir une place sur votre liste de témoins, de préparer un mémoire et de vous le remettre.

Ces Premières Nations n’ont tout simplement aucune chance. Elles doivent à la fois faire face aux conséquences de cette nouvelle réalité où il faut évacuer des communautés entières tous les mois de juin et à la volonté du Canada d’imposer une loi encore plus importante sans même les consulter et, surtout, sans obtenir leur consentement.

L’article 19 de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples autochtones applique la norme du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause aux initiatives législatives avant leur adoption. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, revêt une signification profonde. Il a une définition logique que tout le monde comprend. Par exemple, un médecin n’est pas libre d’opérer simplement parce qu’il a parlé à un patient de la nécessité d’une opération. Il doit littéralement obtenir le consentement explicite du patient.

Trop souvent, les mots utilisés pour désigner les droits des peuples autochtones perdent le sens courant que tous leur confèrent au quotidien. Cette tactique vise à réduire nos droits et à traiter les peuples autochtones comme s’ils étaient inférieurs aux autres peuples et nations.

Le droit à l’autodétermination des Premières Nations est un droit établi. Le Canada l’a reconnu à maintes reprises dans ses politiques et ses déclarations sur la scène internationale, ainsi que par son acceptation sans réserve de la déclaration qui est prescrite dans la Loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le concept de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause — ainsi que la souveraineté permanente des Premières Nations — sont des éléments du droit à l’autodétermination, lequel fait partie du droit international coutumier qui est juridiquement contraignant pour le Canada.

En ce qui concerne les pouvoirs extraordinaires et sans précédent accordés au Cabinet pour modifier l’application, voire exempter complètement de l’application, des lois énumérées à l’annexe 2 pour les projets désignés, le Parlement doit tenir compte du fait que les droits des Premières Nations sur ce qu’on appelle aujourd’hui les terres de réserve sont antérieurs au Canada, antérieurs à la Loi sur les Indiens et constituent des droits établis équivalents ou identiques au titre autochtone ancestral.

Nous sommes extrêmement préoccupés par de nombreux aspects du projet de loi C-5, notamment l’inscription de la Loi sur les Indiens et de diverses lois environnementales importantes à l’annexe 2.

Sans égard à la vision coloniale qui sous-tend la Loi sur les Indiens, cette dernière a toutefois le mérite d’intégrer les exigences et les protections prévues dans la Proclamation royale de 1763.

Utiliser ainsi la Loi sur les Indiens équivaut ni plus ni moins à violer la Proclamation royale ainsi que nos droits garantis par l’article 35 et la déclaration des Nations unies. Toute mesure législative qui propose ou autorise une telle violation est incompatible avec la Constitution et la déclaration des Nations unies.

Meegwetch pour le temps que vous m’avez accordé aujourd’hui.

Le président : Merci, Cheffe Nepinak.

(1650)

Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami : C’est un honneur pour moi de prendre la parole devant tous mes estimés collègues ici présents au Sénat. Je pense à tout le temps que nous avons passé ensemble ces dernières années à discuter de ces dossiers importants qui connaîtront leur dénouement dans quelques semaines.

Je repense également à l’autre événement historique auquel j’ai assisté au Sénat il y a quelques semaines, soit le discours du Trône prononcé par Sa Majesté le roi.

Le Canada a toujours eu pour faiblesse de se féliciter d’être un grand défenseur des peuples autochtones, de la primauté du droit et du respect des droits des Autochtones, tout en adoptant des lois et des pratiques très différentes à ces égards. Je pense que ce comportement découle non seulement de l’ignorance, mais aussi d’un choix sans équivoque quant aux gens qui méritent de voir leurs droits respectés et à ceux qui ne le méritent pas, et quant à la manière d’atteindre un objectif qui permet au Canada de se donner bonne conscience tout en continuant à bafouer les droits qu’il prétend défendre.

Je suis heureux de présenter mes commentaires sur la partie 2 du projet de loi C-5, la Loi visant à bâtir le Canada. L’Inuit Tapiriit Kanatami, ITK, est l’organisation nationale qui représente les Inuits au Canada. Nos membres comprennent le gouvernement du Nunatsiavut, la Société Makivvik, Nunavut Tunngavik et la Société régionale inuvialuite, qui ont tous conclu avec la Couronne des traités modernes protégés par la Constitution. Notre territoire collectif représente plus du tiers de la superficie terrestre du Canada et plus des trois quarts de son littoral. Nous sommes soit propriétaires, soit cogestionnaires de la totalité de ce territoire.

Les Inuit partagent les objectifs fondamentaux du gouvernement du Canada, qui consistent à s’engager dans un développement transformateur et d’intérêt national pour le Canada, y compris pour l’Inuit Nunangat, ce dernier n’étant toutefois pas inclus dans le concept d’une économie canadienne unique. Nous aimerions que le projet de loi aborde la question de l’aliénation économique dont souffrent les Inuit. L’ITK souligne que, pour que l’économie canadienne soit véritablement unifiée, elle doit inclure pleinement et équitablement l’Inuit Nunangat, patrie des Inuit du Canada, dont la situation économique et sociale distincte exige des efforts fédéraux ciblés dans le cadre du projet de loi à l’étude.

Compte tenu de l’intersection entre le régime réglementaire fédéral et les traités unissant les Inuit et la Couronne reconnus par la Constitution, sans oublier les conséquences imprévues que pourrait avoir le projet de loi sur les droits juridiquement exécutoires des Inuit, la Chambre des communes et le Sénat devraient inviter toutes les organisations inuites établies en vertu d’un traité et évaluer leurs propositions d’amendements directement. Ces organisations peuvent s’exprimer sur les détails spécifiques de leurs traités et sur les interactions entre les régimes d’examen des traités, les autorités et le projet de loi proposé.

L’Inuit Nunangat a besoin d’un développement massif et transformationnel pour atteindre la parité économique et sociale avec les autres régions canadiennes. Au cours des dernières années, les Inuit ont travaillé à désigner plus de 70 grands projets d’infrastructure qui sont prioritaires, conformément aux priorités déclarées du gouvernement du Canada au cours de cette période.

La souveraineté inuite, c’est la souveraineté canadienne. Le projet de loi à l’étude ne peut pas recréer les préjudices importants que les Inuit ont subis par le passé en raison d’anciennes politiques gouvernementales d’expansion et de développement dans l’Arctique. Le respect et l’équité doivent être des caractéristiques de la nouvelle mesure législative, y compris le respect des droits des Inuit et des traités entre les Inuit et la Couronne, qui établissent des relations bénéfiques non seulement pour les Inuit, mais aussi pour tous les Canadiens.

L’élaboration rapide de ce projet de loi n’a pas permis de tenir compte des appels à la justice de l’enquête nationale, en particulier de l’article 13, qui demande aux industries d’extraction et d’exploitation d’atténuer les effets néfastes de l’exploitation des ressources naturelles au sein des communautés autochtones, et en particulier d’éliminer la violence fondée sur le sexe dans les projets d’exploitation des ressources naturelles. Je recommande vivement que ce projet de loi intègre l’article 13 dans son texte ou dans ses règlements d’application.

Les Inuits s’inquiètent de l’intersection entre les droits des Inuits et ce projet de loi, notamment du risque qu’il crée les conditions d’une violation des traités entre les Inuits et la Couronne. Non seulement cela ne répond pas à l’obligation du Canada de respecter nos droits, mais cela crée la possibilité que des projets d’intérêt national se retrouvent devant les tribunaux et que les litiges entraînent des retards importants dans leur avancement. Ainsi, la Loi visant à bâtir le Canada pourrait finir par créer de l’instabilité et, en fin de compte, saper la confiance des investisseurs, ralentissant ainsi le rythme des investissements nécessaires dans l’Inuit Nunangat.

Bien qu’il soit court, ce projet de loi est extrêmement compliqué et donne au gouvernement de vastes pouvoirs pour approuver des projets dans l’intérêt national. Compte tenu de ses lourdes retombées, le Parlement devrait prendre plus de temps pour examiner ce projet de loi et inviter chacune des quatre organisations signataires du traité à s’exprimer directement sur leurs préoccupations et priorités communes en la matière. Compte tenu des graves conséquences de l’adoption hâtive de ce projet de loi par le Parlement, une approche plus nuancée et plus réfléchie permettrait au Canada d’élaborer des voies claires pour faire avancer les projets d’intérêt national au sein de l’Inuit Nunangat et de réaliser ce que nous voulons tous en tant qu’Inuit — avoir un partenariat sûr avec le Canada, plus de prospérité et le respect de nos droits. Merci. Nakurmiik.

David Chartrand, président, Fédération des Métis du Manitoba : Je vous remercie de m’avoir invité. Je recommanderais d’utiliser une plus grande table la prochaine fois. Je suis juste au bord et à risque de tomber. Je vous en serais reconnaissant si vous m’invitez un jour à comparaître à nouveau.

Je suis accompagné de Lorne Pelletier, chef du développement économique et des initiatives nationales. Il parle couramment français. Je m’excuse de ne pas avoir eu l’occasion de traduire tout cela en français avant mon arrivée. J’ai seulement terminé ma présentation de cinq minutes hier.

Je vous remercie à nouveau de m’avoir invité à parler aujourd’hui du projet de loi C-5 et de la Loi visant à bâtir le Canada, en particulier. La Fédération des Métis du Manitoba est le gouvernement national des Métis de la rivière Rouge et représente les droits, les revendications et les intérêts de nos citoyens, qu’ils vivent au Manitoba ou ailleurs. Les Métis de la rivière Rouge ont été les partenaires de négociation du Canada lors de la Confédération et ont fondé le Manitoba. Nous sommes le seul peuple autochtone à avoir apporté une province au Canada.

En tant que partenaires du Canada, nous avons un intérêt particulier à ce que notre pays continue de prospérer et de rester intègre. En tant que partenaires, nous avons protégé les régions frontalières situées le long du 49e parallèle et nous nous sommes enrôlés en masse pour défendre nos libertés et protéger la démocratie pendant la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. Beaucoup ont fait le sacrifice ultime, et nous continuerons à protéger notre pays et à adopter une position ferme dans les conflits.

On nous dit que le partenariat avec les peuples autochtones est au cœur du projet de loi. Nous en déduisons que cela signifie que la nation métisse de la rivière Rouge, les Premières Nations et les Inuit y participeront, mais nous ne savons pas encore où, quand et comment nous participerons. Nous savons que, bien que cela ne figure pas dans le projet de loi, le gouvernement prévoit également des investissements dans les énergies propres et conventionnelles, le logement abordable et le développement urbain, ainsi que dans la défense et la souveraineté. Il s’agit là de questions d’importance nationale, et nous espérons être pris en compte lors de leur mise en œuvre.

Il est clair que le Canada nous demandera beaucoup — appuyer le projet de loi et contribuer aux efforts d’édification nationale —, mais la confiance entre le Canada et notre nation s’est érodée. En 1870, lors de la création du Manitoba, les Métis de la rivière Rouge ont négocié un traité unique qui prévoyait des terres pour nos familles et nos enfants. Par la suite, nous n’avons pas été reconnus par le Canada en tant que peuple ou nation, et on ne nous a pas concédé les terres. C’est un sombre chapitre de l’histoire du Canada. Dans son arrêt sur l’article de la Loi sur le Manitoba de 1870 relatif aux concessions de terres aux Métis, qui n’a pas été respecté, la Cour suprême du Canada a statué que le clivage persistant dans notre tissu national auquel l’adoption de l’article 31 devait remédier demeure entier, et que :

La tâche inachevée de réconciliation des Métis avec la souveraineté du Canada est une question d’importance nationale et constitutionnelle.

En 2024, le Traité concernant la reconnaissance et la mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Métis de la rivière Rouge est devenu le premier traité moderne conclu avec les Métis et constitue une étape importante vers la réconciliation avec les Métis de la rivière Rouge. Toutefois, ce traité n’entrera en vigueur qu’après l’adoption de la loi de mise en œuvre. Alors que le Canada cherche à renforcer la fédération, une partie de cet effort devrait être consacrée à remédier à ce clivage dans le tissu national et à achever le processus de réconciliation avec nos citoyens.

À mon retour chez moi, mon peuple me demandera comment nous pouvons garantir que ce projet de loi ne bafouera pas nos droits garantis par l’article 35, ne remettra pas en cause les progrès accomplis vers la conclusion quasi achevée de notre traité, ni ne réduira à néant les progrès réalisés après un si dur combat en matière de revendications territoriales. La mise en œuvre de notre traité et le règlement de nos revendications territoriales doivent être reconnus comme une question d’intérêt national qui doit également être traitée en priorité, car cela nous donnera davantage d’outils pour investir dans ces grands projets.

La Fédération des Métis du Manitoba et ses membres appuient la croissance. Le projet de loi C-5 contribuera à la transformation économique du Canada. Ces mesures fourniront les outils et les ressources d’investissement nécessaires pour continuer à bâtir le Manitoba, les provinces de l’Ouest et, bien sûr, le Canada. Nous accueillons favorablement les projets qui diversifieront les marchés, tels que le corridor commercial de l’Arctique, ainsi que d’autres projets qui renforceront la sécurité et la souveraineté du Canada.

Nous avons souvent participé à des projets d’envergure ces dernières années. Nous avons collaboré avec Enbridge et Manitoba Hydro sur la participation de la main-d’œuvre. À l’heure actuelle, nous travaillons à concrétiser des projets d’énergie éolienne, à construire des logements abordables à forte densité et à mettre en œuvre des projets de compensation de carbone à haut rendement dans le cadre desquels nous planterons 160 millions d’arbres au cours des prochaines décennies.

(1700)

Nous sommes les principaux acteurs de la revitalisation du centre-ville de Winnipeg. Je vous invite à poser des questions sur ces projets une fois que j’aurai terminé mon intervention. Cependant, l’accès aux capitaux demeure un obstacle majeur pour ces projets. Nous avons des terrains et des projets prêts à démarrer et nous sommes prêts à investir dans ces projets une partie de la somme que nous obtiendrons du règlement de nos revendications territoriales.

Nous entendons appuyer le projet de loi. Nous sommes prêts à avancer main dans la main avec le Canada, ainsi qu’avec les provinces et les territoires, pour sa mise en œuvre. Il ne faut pas prendre à la légère la menace qui vient du sud. Les États-Unis reluquent nos ressources naturelles. Dans un discours que j’ai fait il y a 20 ans, j’avais dit que l’eau serait la ressource convoitée de l’avenir. Nous y arrivons.

Donald Trump a déclaré la guerre commerciale au Canada dans le but de nous mettre à genoux. Les Métis de la rivière Rouge ne se mettent à genoux devant personne. Nous sommes à vos côtés. Défendons-nous ensemble.

[Français]

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à la période des questions.

Je demanderais aux honorables sénateurs et aux témoins d’être le plus succinct possible dans leurs questions et leurs réponses afin que nous puissions passer toute la liste de sénateurs qui veulent poser des questions.

[Traduction]

La sénatrice Martin : Je vous remercie d’être venus et des exposés que vous venez de faire. Je sais que vous n’avez pas eu beaucoup de temps pour vous préparer, mais votre présence est très importante. Je trouve aussi que tout est un peu précipité et je suis certaine que c’est la même chose pour mes collègues. C’est la situation avec laquelle nous devons composer.

Ma première question s’adresse à la Cheffe nationale Woodhouse Nepinak. Dans une interview du 2 juin, la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Rebecca Alty, affirmait qu’il était essentiel de combler le déficit en matière d’infrastructures dans les collectivités des Premières Nations, ce qui englobe l’eau potable, le logement, les routes et l’accès au service à large bande. Or, elle ajoutait également que ce genre d’infrastructures ne correspond pas à ce qu’on entend par projets d’intérêt national dans les dispositions du projet de loi C-5 à ce sujet.

Quel message la décision de ne pas inclure ces besoins criants en infrastructures vous envoie-t-elle?

Mme Woodhouse Nepinak : Tout à fait. C’était décevant d’entendre cela dans la presse. La ministre aurait pu avoir l’amabilité de prendre contact beaucoup plus tôt. Le premier ministre avait pris contact à plusieurs reprises, presque quotidiennement.

C’était décevant d’entendre dire que les écoles et les logements pour nos enfants ainsi que l’accès à des capitaux par l’intermédiaire du système bancaire ne sont pas essentiels pour les Premières Nations. Une étude du Conference Board du Canada a montré que le Canada est l’un des pays à la traîne du G7. Nous pourrions être le premier pays du G7 si nous investissions dans les communautés des Premières Nations et dans nos enfants.

Les Canadiens demandent toujours : « Que veulent les Premières Nations? » Nous voulons que nos enfants vivent bien, qu’ils aient de l’eau potable. Nous voulons des écoles, des logements et des infrastructures.

Comme je l’ai dit, les Premières Nations sont les fondatrices de ce beau pays que nous partageons. Nous avons partagé notre territoire. Nous parlons toujours de la « profondeur d’un sillon de charrue ». Nous n’avons accepté de partager que la « profondeur d’un sillon de charrue », en tant que Premières Nations, sur l’ensemble du territoire.

Quand toutes ces ressources sont prises et assurent la prospérité de tous les autres alors que nos petits enfants, dans les communautés des Premières Nations, sont privés du nécessaire, il y a quelque chose qui ne va vraiment pas dans ce pays. Dire que ce n’est pas un projet d’intérêt national est tout à fait inacceptable.

Nous devons définir qui nous sommes en tant que pays. Que voulons-nous être? Aurons-nous encore ces discussions dans 20 ou 40 ans?

Le pays traverse une crise qui touche les jeunes enfants des communautés. Nous devons veiller à ce que les enfants qui vivent dans les réserves ou hors réserve, peu importe, aient tous les mêmes chances.

Le pays est jeune. Faisons-en un meilleur endroit pour tous. Commençons par investir dans les infrastructures des Premières Nations et combler le déficit en matière d’infrastructures.

La sénatrice Martin : L’Assemblée des Premières Nations considère-t-elle qu’exclure les infrastructures essentielles des Premières Nations du cadre de construction nationale du projet de loi C-5 met en évidence le fossé croissant entre ce que le gouvernement dit sur la réconciliation et ce qu’il fait lorsque vient le temps de passer aux actes?

Mme Woodhouse Nepinak : Je pense que l’action à mener serait de combler le déficit en matière d’infrastructures des Premières Nations. Des Chefs m’ont contactée aujourd’hui. Ils discutent en ce moment même. Ils communiquent entre eux d’un océan à l’autre. Je compatis à leur situation. Ils devraient être ici pour parler des réalités auxquelles ils sont confrontés dans leurs communautés. Il n’y a pas de place pour eux ici. Faisons-leur de la place, mes amis.

La sénatrice Martin : À ce propos, en ce qui concerne la représentation ici et la consultation, c’est essentiel, mais, comme nous l’avons dit, le processus a été extrêmement précipité.

Ma deuxième question s’adresse au président Obed et au président Chartrand. Vos organisations ont-elles été consultées avant la présentation du projet de loi C-5? Je sais que vous en avez déjà parlé dans vos observations préliminaires, mais plus précisément en ce qui concerne les dispositions de la Loi visant à bâtir le Canada qui pourraient avoir une incidence sur les droits et la compétence des Autochtones à l’égard des grands projets, pourriez-vous nous en dire plus sur le processus de consultation?

M. Obed : Je serais ravi de commencer. Merci pour cette question. Une semaine avant la présentation du projet de loi à l’étape de la première lecture, nous avons été invités à participer à une séance organisée par le Bureau du Conseil privé et le Cabinet du premier ministre. Il y a eu deux séances au total, mais aucune n’a donné lieu à une communication explicite des dispositions du projet de loi. Nous ne considérons pas qu’il s’agit d’une consultation au sens de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, des dispositions réglementaires connexes et de la mise en œuvre de cette loi, et encore moins au sens d’autres mesures législatives.

M. Chartrand : Je vous remercie de la question. En fait, nous avons eu des discussions. Nos représentants ont rencontré des fonctionnaires à Ottawa, et ils ont eu des échanges.

Tout d’abord, je tiens à dire que je ne représente pas une organisation, mais un gouvernement. Il y a de grandes divergences philosophiques et idéologiques sur cette question.

Je dirai ceci : tout comme le Sénat et l’ensemble du Parlement du Canada, notre gouvernement et nous discutons de ce qui se passe dans le Sud. Nous sommes très inquiets. Nous nous inquiétons pour notre économie. Les Métis ont toujours contribué à la croissance économique. L’histoire de notre nation repose sur l’innovation économique et le travail. Cela a toujours été le cas et le demeurera toujours.

Nous avons eu nos propres discussions sur le rôle que nous allons jouer au Canada. Quel rôle devons-nous y jouer? L’ensemble de notre gouvernement, par exemple, a rapidement adopté une politique qui interdisait tout déplacement aux États-Unis. Nous avons annulé la totalité des réunions là-bas et des commandes provenant de ce pays. En effet, nous nous assurons que tout produit que notre gouvernement achète ne provient pas des États-Unis. Il est impossible de réduire complètement notre relation avec les États-Unis, mais nous tentons de la réduire le plus possible. Dans l’ensemble, nous avons eu nos propres discussions sur la question.

Nous avons pris connaissance de la présentation du projet de loi C-5. Nous reconnaissons l’importance de cette mesure législative, et nous comprenons pourquoi il faut l’adopter. C’est pourquoi je suis ici aujourd’hui pour exprimer haut et fort notre appui pour le projet de loi C-5.

Voici ce qui me préoccupe et ce qui préoccupe ma nation et son gouvernement. Si notre économie s’effondre, que se passera-t-il? Il y aura une récession. Les faits parlent d’eux-mêmes. Lorsqu’il y a une récession quelque part, ce sont les pauvres ainsi que les gens de la classe moyenne et de la classe moyenne inférieure qui sont les premiers à en souffrir, et ils sont durement touchés. Il y aura des compressions dans les programmes et les activités, et les effets seront considérables.

Nous aurons une situation comme à Detroit, où une maison a été échangée contre un téléphone cellulaire à cause de ce qui est arrivé là-bas.

Notre gouvernement est préoccupé en ce moment. Nous examinons toutes les options possibles, mais, au bout du compte, nous savions qu’il fallait faire quelque chose. Nous savions que cela allait arriver rapidement. Nous ne savions pas exactement à quoi nous attendre, mais, de toute évidence, ces mesures sont ce qu’on a de mieux à proposer en ce moment. Nous verrons comment nous pouvons composer avec cela, quitte à apporter des changements au besoin, mais, de façon générale, il faut déterminer comment on peut faire fonctionner les choses.

La sénatrice Martin : Comme vous, nous comprenons tous pourquoi nous devons procéder ainsi. Je sais que les consultations — s’il y en a eu — ont été minimes.

Depuis que le projet de loi a été présenté à la Chambre des communes, y a-t-il eu des communications, des assurances ou des consultations supplémentaires, le cas échéant, de la part des ministres fédéraux, tels que la ministre des Relations Couronne-Autochtones? Je pose la question parce que vous avez dit que vous espériez que la mise en œuvre serait accompagnée d’une meilleure communication. Y a-t-il eu des échanges depuis le dépôt du projet de loi?

M. Chartrand : Il est évident que d’autres conversations doivent avoir lieu. Le dialogue doit se poursuivre. Nous parlons ici du 1er juillet prochain. Selon nous, malgré la rapidité avec laquelle les choses évoluent, nous pouvons continuer à discuter.

Par exemple, nous savons qu’un organisme autochtone doit être nommé ou mis sur pied. Nous ne savons pas à quoi ressemblera l’organisme. Nous ne savons pas qui en fera partie. Nous ne savons pas comment il sera mis en place. Pour des questions de cette nature, il faut que la ministre des Relations Couronne-Autochtones accélère le processus afin d’organiser une réunion pour nous rencontrer rapidement. Convoquez une réunion demain et j’y serai. Convoquez une réunion après-demain, et j’y serai aussi. Nous sommes tout à fait disposés à apporter notre aide, mais, comme l’a souligné M. Obed, nous devons participer davantage aux discussions. Nous devons faire partie du processus, alors faites davantage appel à nous. Ne pensez pas à nous à la dernière minute.

(1710)

La sénatrice Martin : En fait, madame la Cheffe nationale, M. Chartrand a dit qu’on ne lui avait pas fait part des détails concernant le conseil consultatif autochtone, mais vous en a-t-on parlé? Avez-vous des préoccupations à ce sujet?

Mme Woodhouse Nepinak : Nous n’avons reçu aucune autre correspondance à ce sujet. Nous avons examiné le projet de loi. Nous avons entendu des rumeurs. Chaque fois qu’un ministre ou que le premier ministre nous appelle, nous en entendons parler, mais nous ne connaissons pas les détails. Merci.

Le sénateur Dean : Tout d’abord, merci à tous d’être ici avec nous aujourd’hui et de nous faire part de vos observations sur le projet de loi C-5. Nous sommes conscients du peu de temps qui vous a été accordé à cet égard.

Je vais commencer par poser quelques questions à M. Obed. Monsieur Obed, au cours des dernières années, on a beaucoup parlé du développement économique et de la sécurité dans l’Arctique. D’abord, quels sont les aspects de ce projet de loi qui vous semblent pertinents et qui mériteraient d’être examinés? Pourriez-vous nous dire quelles sont vos deux ou trois principales préoccupations?

Ensuite, j’ai remarqué dans les observations que vous avez formulées récemment que vous vous disiez moins préoccupé par le gouvernement fédéral que par les gouvernements provinciaux. Si vous pouviez également prendre 30 secondes pour préciser ce point, cela nous serait très utile. Merci.

M. Obed : Je vous remercie de la question. Au cours des sept dernières années, nous avons travaillé avec le Comité de partenariat entre les Inuit et la Couronne et le gouvernement fédéral sur des priorités communes. Nous avons également beaucoup discuté des infrastructures et du logement. Nous avons parlé de l’idée d’intégrer l’Inuit Nunangat au Canada. À bien des égards, le Canada considère toujours l’Arctique, notre territoire — l’Inuit Nunangat —, comme une frontière. Sur nos 51 communautés, il n’y en a que deux qui sont accessibles par la route. Nous sommes entièrement dépendants des transports aériens. À ma connaissance, nous disposons de deux ports en eau profonde dans l’ensemble des 51 communautés, qui sont toutes des communautés maritimes ou riveraines.

Notre pays a une occasion incroyable de devenir un pays arctique au sens propre du terme. S’il est bien élaboré, le projet de loi pourrait grandement contribuer à cette réalisation. Toutefois, il s’agit d’une arme à double tranchant. Il suffit de lire le projet de loi et de voir les mots « en respectant les droits des peuples autochtones » à l’article 4 de la partie 2, sous la rubrique « Objet », ainsi que les mots « promouvoir les intérêts des peuples autochtones » à l’alinéa 5(6)d) sous la rubrique « Facteurs », puis le paragraphe 5(7), sous la rubrique « Consultation ».

(1720)

En ce qui concerne les dispositions du projet de loi qui visent à accorder une place aux peuples autochtones et à leurs droits, les peuples autochtones peuvent heureusement compter sur la Constitution, les décisions de la Cour suprême et les lois pour obtenir une jurisprudence de plus en plus volumineuse et un espace spécifique afin de faire respecter leurs droits établis au Canada. Il ne s’agit pas simplement d’un mélange hétéroclite de mesures législatives ayant pour but de donner l’impression que les peuples autochtones sont inclus.

J’encourage le gouvernement à mettre en pratique l’objet du projet de loi en respectant et en défendant nos droits et traités existants ainsi que les processus que nous avons soigneusement mis en place par le biais de mesures législatives, et en s’inspirant de ce qui a été récemment accompli grâce à la mise en application de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

En ce qui concerne votre question sur les provinces et les territoires, des provinces ont intenté des poursuites judiciaires pour contester le projet de loi C-92, la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuit et des Métis, et nous avons dû interjeter appel auprès de la Cour suprême afin de défendre notre droit de prendre soin de nos enfants.

Nous sommes exclus des réunions des premiers ministres depuis 2018, il me semble. Cela envoie un message très clair que les détenteurs de droits autochtones n’ont pas leur place dans les grandes discussions sur les sujets importants comme les soins de santé et les paiements de transfert aux provinces et aux territoires. Les provinces et les territoires ont déployé des efforts acharnés pour exclure les peuples autochtones de la table des discussions au cours des sept ou huit dernières années. Cela doit changer.

Le président : Je suis désolé, monsieur Obed. Nous devons nous interrompre à nouveau, car il n’y a pas d’interprétation. Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes. Nous espérons pouvoir résoudre ce problème.

M. Obed : J’ai terminé mes observations.

Le président : Merci.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

(1740)

Le président : Honorables sénateurs, nous sommes prêts. À titre de rappel, nous étions dans la période de questions de 10 minutes du Groupe des sénateurs indépendants. Nous avons entendu le témoignage du sénateur Dean. Monsieur Obed, nous vous remercions d’avoir répondu malgré toutes les interruptions. Nous allons continuer. La sénatrice Pate, puis la sénatrice Duncan, poseront des questions. Vous disposez de cinq minutes en tout pour les questions et les réponses. Merci.

La sénatrice Pate : Bienvenue à tous. Je vous remercie de votre énergie incroyable, qui a donné lieu à tant de discussions intéressantes dans cette enceinte.

Je voudrais revenir sur ce qu’a soulevé le président Obed. Je m’adresse maintenant à la Cheffe nationale Woodhouse Nepinak. Madame la Cheffe, vous avez exprimé des préoccupations quant à la façon dont ce projet de loi a été présenté. Vous avez mentionné que vous avez communiqué avec les Chefs et les dirigeants des Premières Nations partout au pays. J’aimerais savoir ce qu’ils vous ont dit, quels amendements précis vous souhaiteriez voir apporter au projet de loi et ce qui, selon vous, pourrait être fait à ce stade pour les détenteurs de droits des Premières Nations, des Inuit et des Métis.

Mme Woodhouse Nepinak : Bien sûr. J’entends divers points de vue, mais ceux qui les ont formulés devraient pouvoir s’exprimer ici. Nous avons eu une longue conversation téléphonique aujourd’hui, qui s’est très bien passée, et je pense que nous devrions célébrer la diversité des opinions.

À la suite de cette conversation, je dirai que la suppression des obstacles au commerce intérieur entre les provinces et les territoires est probablement quelque chose dont tout le monde au Canada bénéficiera. Cependant, l’un des principaux obstacles au commerce et au développement des Premières Nations est le déficit en infrastructures. Je sais que j’insiste beaucoup là-dessus, mais je ne le répéterai jamais assez. Sans mesures concrètes pour l’accès à l’eau potable, pour les infrastructures de traitement des eaux usées et pour des écoles adéquates, les Premières Nations seront exclues de l’économie canadienne unifiée. Les Premières Nations réclament que des mesures soient prises pour répondre à leurs besoins en matière d’infrastructures, qui constituent un pilier essentiel de la construction d’une nouvelle économie qui relie tous les Canadiens et profite à tous. Nous aimerions que cet aspect figure dans la partie 2 du projet de loi. Je vous renvoie tous aux rapports que nous avons commandés au Conference Board du Canada sur cette question, qui évaluent les avantages considérables que la réduction du déficit en infrastructures des Premières Nations apporterait à l’ensemble du Canada et aux Premières Nations.

Pendant ma conversation avec les dirigeants aujourd’hui, ils sont revenus constamment sur ce point : l’énorme fossé qui existe. C’est quelque chose que nous ne pouvons pas ignorer. Je sais que nous voulons parler d’emplois, d’économie et de croissance, mais cela ne sera pas possible tant que nous n’aurons pas comblé le fossé en matière d’infrastructures dans les communautés des Premières Nations.

La sénatrice Pate : Merci.

La sénatrice Duncan : Merci à tous les témoins qui sont présents. Je m’adresse à M. Chartrand en particulier.

En début d’après-midi, j’ai fait remarquer à la ministre Freeland qu’il n’y avait pas de définition de ce qu’est une consultation dans le projet de loi. Il n’existe aucun protocole entre les ministères, les fonctionnaires et les organismes de réglementation qui précise ce qu’est une consultation. La compréhension de ce qu’est une consultation varie complètement d’un bout à l’autre du pays. Au Yukon, il y a des Premières Nations autonomes et un forum de gouvernement à gouvernement.

Vous avez parlé d’amendements au projet de loi pour résoudre ce problème. Pourrions-nous définir publiquement ce qui devrait être considéré comme une consultation de sorte à satisfaire aux besoins de l’ensemble du pays? En effet, la situation est très variable d’un endroit à l’autre au Canada.

M. Chartrand : C’est une bonne question, et je pense même que vous avez tout à fait raison à ce sujet. Ce sera le point faible de ce projet de loi, et veiller à ce que des consultations aient lieu fait partie de mes préoccupations et de celles des Métis de la rivière Rouge.

Dans le contexte actuel, le Canada se doit de mener des consultations en bonne et due forme. De nombreuses causes juridiques se sont rendues jusqu’à la Cour suprême du Canada. Évidemment, nous savions déjà que les consultations pouvaient parfois prendre des années, car le processus comprend maintenant un volet environnemental qui rend les délais encore plus longs. On parle maintenant de changer le processus de consultation pour qu’il soit réalisé en deux ans, alors que nous ne sommes même pas capables de faire cela en cinq ans. Notre défi sera donc d’obtenir des précisions sur ces questions. Les intervenants du secteur privé et de l’État qui investissent dans ces grands projets de plusieurs milliards de dollars veulent avoir l’assurance qu’il n’y aura pas de problème plus tard et que les projets d’investissements ne vont pas tomber à l’eau.

Le secteur privé, le gouvernement du Canada, les provinces et, surtout, les gouvernements autochtones ont besoin de garanties. À quoi ressemblera la consultation? Comment va-t-on l’effectuer sur deux ans? Comment va-t-on mener des études scientifiques à long terme sur l’environnement, l’eau, les espèces de poissons, etc.? Il faut à la science beaucoup plus de temps pour tirer des conclusions là-dessus. L’une des options qui s’offrent actuellement à nous consiste à clarifier la situation et à donner des garanties au secteur privé et à nous, les gouvernements, qu’il y aura un calendrier et que toutes les parties auront l’assurance que la consultation sera bien comprise par tous. Au moins, nous pourrions alors avancer tous ensemble.

Autrement, il y aura d’autres poursuites devant les tribunaux. Cela a toujours été le talon d’Achille. C’est maintenant l’occasion, si vous souhaitez que cela dure moins de deux ans, de demander plus de précisions à ce sujet.

Le président : Merci, monsieur. Nous passons à la prochaine ronde de questions, avec le Groupe des sénateurs canadiens. Le temps de parole sera partagé entre le sénateur Prosper et la sénatrice Osler.

Le sénateur Prosper : Je remercie tous les témoins. Votre opinion compte pour beaucoup dans ces discussions.

Je veux poser une question à la Cheffe nationale Woodhouse Nepinak. Nous avons tous entendu parler des consultations. C’est une question dont les tribunaux ont été saisis à maintes reprises et dont le gouvernement et les Premières Nations ont souvent discuté. Une des choses qu’on entend au sujet de ces consultations, c’est qu’elles doivent être raisonnables et avoir une signification réelle et substantielle.

À la lumière de ce que vous voyez dans le projet de loi C-5, notamment à la deuxième partie, pouvez-vous nous dire ce que représentent des consultations sérieuses pour vous, Cheffe nationale? Selon vous, comment garantira-t-on la qualité de ces consultations dans le processus accéléré prévu au projet de loi C-5? Merci.

Mme Woodhouse Nepinak : Je tiens bien sûr à souligner l’importance du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Si vous lisez attentivement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, vous constaterez que cette norme exige d’obtenir le consentement, et non simplement de le solliciter. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, signifie donc exactement ce qu’il dit. Le fait de donner librement signifie que le processus de consultation des Premières Nations et d’obtention de leur consentement doit être exempt d’intimidation, de coercition et de toute autre forme de contrainte. Un consentement préalable veut dire que la consultation et la collaboration doivent avoir lieu avant que les décisions ne soient prises, et non après qu’un projet de loi ait été adopté et après que des projets aient été approuvés sans consultation et discussion préalables sur le consentement effectif. Enfin, « en connaissance de cause » signifie que les peuples autochtones doivent avoir accès à tous les renseignements pertinents pour prendre leurs propres décisions. Il est essentiel que les peuples autochtones aient le temps et la possibilité de parvenir à une conclusion éclairée sur la base de leurs propres modes de décision. Un consentement donné « en connaissance de cause » signifie bien sûr que les Premières Nations doivent recevoir des renseignements sur les grands projets et avoir accès à une évaluation adéquate des conséquences potentielles, comme une évaluation de l’impact environnemental et social, y compris les propres processus des Premières Nations. Il peut également être nécessaire de procéder à une évaluation de l’impact sur les droits de la personne, tant pour les droits collectifs que pour les droits individuels. La traduction des renseignements dans les langues autochtones peut également être requise.

(1750)

Nous parlons de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause et de cet aspect-là. Je tiens à le souligner. J’espère que cela vous aidera si vous avez d’autres questions.

Le sénateur Prosper : Merci, madame la Cheffe nationale.

La sénatrice Osler : Je vous remercie tous d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à tous les témoins et elle porte sur le problème potentiel concernant l’idée de consulter les collectivités touchées. Par exemple, s’il y a des préoccupations au sujet des répercussions sur les troupeaux migrateurs comme le caribou ou de la perturbation de l’habitat estival des bélugas, l’expression « collectivités touchées » pourrait inclure des collectivités bien au-delà de celles qui seraient traditionnellement choisies dans le cadre de la consultation. Si nous prenons l’exemple de Churchill, au Manitoba, dont le port a été désigné comme un projet potentiel d’importance nationale, compte tenu de son emplacement à proximité de la frontière du Nunavut, on pourrait dire que les Inuit et les Dénés devraient être consultés.

Ma question s’adresse à chacun d’entre vous : selon vous, comment le gouvernement fédéral devrait-il déterminer qui devrait être consulté et quelles collectivités devraient être considérées comme des collectivités touchées?

Mme Woodhouse Nepinak : Ma conseillère juridique de l’Assemblée des Premières Nations, Julie McGregor, m’accompagne. Je tiens à lui souhaiter la bienvenue et à la remercier de son travail remarquable, de nous avoir aidés jour et nuit pendant 20 heures par jour, ainsi que mon personnel au bureau, en raison du court délai dont nous disposions. Julie, pourriez-vous s’il vous plaît venir faire quelques observations et vous présenter? Je vous remercie.

Julie McGregor, cheffe de cabinet, Assemblée des Premières Nations : Merci, madame la Cheffe nationale. Je suis conseillère juridique et cheffe de cabinet de la Cheffe nationale à l’Assemblée des Premières Nations.

Meegwetch de la question. Je pense que, dans le contexte des Premières Nations, il faut revenir aux détenteurs de droits, que le gouvernement a le devoir de consulter et d’accommoder. Il faut revenir à eux. En ce qui concerne les connaissances traditionnelles de la faune et les droits exercés, comme la chasse, la pêche et ainsi de suite, qui seront affectés par un projet proposé, c’est là l’essence même de la question. Il faut revenir aux détenteurs de droits, et ce sont eux qui déterminent qui doit être consulté à ce sujet. Voilà ce que sont des consultations en bonne et due forme. Meegwetch.

M. Chartrand : Merci. Permettez-moi d’intervenir à ce sujet. J’ai beaucoup d’expérience dans ce domaine. Habituellement — c’est arrivé à maintes occasions —, le gouvernement tente de contourner notre gouvernement et de consulter directement un village, une communauté ou le dirigeant d’une communauté — comme il l’appelle, si cela lui chante — et conclut avec eux des ententes qui ne sont nullement à leur avantage. Des gens qui ne nous représentent pas signent ces ententes et le gouvernement dit avoir négocié avec les Métis, parce qu’il a obtenu la signature d’un maire qui s’adonne à être métis. Eh bien, le maire ne représente pas notre peuple. Nous sommes dûment élus pour le représenter, conformément à l’un des systèmes les plus démocratiques au pays.

Je suis président depuis 28 ans et je me bats contre ce problème depuis longtemps. Notre peuple en est venu à la conclusion que le seul moyen de nous protéger est de veiller à ce que le gouvernement métis participe aux négociations et à ce qu’il possède le même ensemble de compétences, d’éducation, d’avocats, de consultants et de conseillers que le gouvernement et le secteur privé.

Notre gouvernement a adopté la résolution no 8, qui prévoit que toute poursuite ou discussion d’un projet donné doit inclure le gouvernement métis et notre communauté afin que cette dernière puisse être guidée et qu’elle puisse recevoir tous les outils nécessaires et toutes les formes de soutien dont elle a besoin.

Nous avons été échaudés à plusieurs reprises, nous avons subi beaucoup de préjudices et, bien sûr, nous avons soutenu le gouvernement dans ce contexte. Bien entendu, cela va être difficile maintenant, parce que la résolution no 8 guide notre gouvernement. En ce qui concerne les Métis de la rivière Rouge et des Prairies, nous avons un système, et cela passe par notre gouvernement. Nous échangeons avec la communauté concernée et nous déterminons comment travailler ensemble pour nous assurer que les effets sont bien là, non seulement à court terme, mais aussi à long terme, et pour nous assurer que la protection est adéquate. Parfois, les gens déménagent et peuvent revenir plus tard, mais leur voix n’a pas été entendue ou leurs préoccupations n’ont pas été prises en compte.

Comme je l’ai dit, nous avons lutté contre ce problème parce que le gouvernement a profité de la situation et a tiré parti du système pour « nous voler », comme je le dis. Maintenant, nous avons un système dans notre gouvernement pour que nous ne puissions plus jamais être contournés.

M. Obed : Pour répondre brièvement à la question, je crois qu’il y a deux éléments à prendre en considération. Le premier élément est la définition de l’« obligation de consulter », surtout en ce qui a trait à certains projets. Dans l’Inuit Nunangat, je pense tout d’abord au fait que les consultations exigent souvent de longs déplacements. Je pense également aux langues dans lesquelles le gouvernement est en mesure d’offrir des forums de consultation.

Le deuxième élément, je dirais, porte sur le respect des traités modernes et de toutes leurs dispositions relatives à la consultation, mais aussi sur la manière dont les projets liés aux ressources naturelles ou tout autre projet sont réellement menés. Si l’obligation de consulter et les traités modernes sont tous les deux respectés, alors, nous sommes sur la bonne voie.

Le sénateur Prosper : J’aimerais poser une autre question à la Cheffe nationale. Madame la Cheffe, vous avez commencé votre discours en disant que le délai de consultation était déraisonnablement court. Je vous remercie d’avoir étoffé le concept de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause pour le rendre plus clair.

Vous avez parlé aux dirigeants et aux titulaires de droits partout au pays du projet de loi C-5. Qu’ont-ils à dire à ce sujet? Quelles en sont les lacunes? Comment pensez-vous qu’il faudrait les corriger? Je vous remercie.

Mme Woodhouse Nepinak : Nous avons bien vu l’interruption, n’est-ce pas? Beaucoup n’ont pas pu être présents aujourd’hui pour discuter avec les Chefs. Ils sont en train de lutter contre les incendies de forêt. Je pense que si un message doit être retenu aujourd’hui, c’est celui-ci : ralentissez. Profitez de l’été. Allez discuter avec les gens. Parlez aux Canadiens. Parlez aux membres des Premières Nations. Nous savons ce que c’est que d’avoir Trump à la frontière. Ne faisons pas la même chose et n’adoptons pas des politiques à la Trump entre nous. Prenons le temps de faire les choses correctement. Je pense que nous rendrons notre pays meilleur, en passant du temps cet été à discuter entre nous, à travailler ensemble, à renforcer ce projet de loi et à examiner certains éléments qui portent atteinte aux droits des Premières Nations. Discutons-en.

Il n’est pas toujours facile de discuter, surtout quand il n’y a même pas de table pour se réunir afin d’en parler ni suffisamment de temps pour le faire. Heureusement, je peux compter sur une équipe compétente qui fait de son mieux. Cependant, il nous faut un peu plus de temps pour examiner cette question en détail, pour rassembler nos collaborateurs afin de discuter de ce projet de loi et pour permettre au premier ministre, au Cabinet et à vous-mêmes de rencontrer les Premières Nations. Travaillons ensemble pour améliorer notre pays.

On peut organiser des rencontres des ministres, par exemple. Comme l’a dit mon collègue Natan Obed, il est hors de question d’aller de l’avant sans consulter les Premières Nations. Nous devons faire les choses différemment dans notre pays. Je crois que nous pouvons y arriver, mais faire adopter quelque chose à toute vapeur en 7 ou 14 jours n’est pas la façon canadienne de faire les choses. Tout ce que nous vous demandons, c’est de suivre vos propres règles, de respecter vos propres lois et de tenir compte du chemin parcouru. Nous ne devrions pas retourner plusieurs années en arrière et nuire à ces relations très fragiles que nous devons entretenir maintenant. Les gens essaient de travailler là-dessus ensemble. Les Premières Nations font aussi des efforts en ce sens. Certaines communautés ont peut-être avancé davantage que d’autres, mais certaines ne se sont pas encore penchées sur la question, et elles ont besoin de temps pour le faire et pour donner leur avis. Ces mesures auront une incidence sur ces gens, sur leurs enfants et sur leurs petits-enfants.

Je pense qu’il est préférable d’essayer de travailler ensemble plutôt que de faire adopter quelque chose à toute vapeur sans penser aux Premières Nations de ce pays qui vivent sur les terres où cette industrie veut réaliser des projets très rapidement. Par ailleurs, quand vous prenez toujours davantage aux communautés à qui appartiennent les terres où vous vous trouvez, alors que les enfants de ces communautés n’ont pas de quoi répondre à leurs besoins fondamentaux au même titre que les autres enfants canadiens, il y a quelque chose qui ne va pas dans ce pays.

Le président : Merci, madame la Cheffe nationale. Les 10 prochaines minutes vont au sénateur Francis et au sénateur Klyne du Groupe progressiste du Sénat.

Le sénateur Francis : Je suis ravi de vous voir tous. Ma question s’adresse à M. Obed. L’une de mes plus grandes préoccupations concernant le projet de loi C-5 est qu’il accorderait au Cabinet, pour une période d’au moins cinq ans, des pouvoirs étendus pour accélérer les projets jugés d’intérêt national sur la base d’une liste de critères généraux et non contraignants. Parmi ces critères figurent les intérêts des peuples autochtones, mais le texte législatif précise clairement qu’il s’agit d’une disposition discrétionnaire et non obligatoire. Cela crée un système dans lequel les droits des Autochtones pourraient être considérés comme facultatifs ou entièrement subordonnés, en particulier si un gouvernement invoque un motif impérieux d’intérêt public, tel que le développement économique, en tant que compétence.

(1800)

Craignez-vous que le projet de loi risque de donner aux gouvernements actuels et futurs la latitude juridique nécessaire pour approuver des projets d’envergure sans respecter véritablement l’obligation de consulter et d’accommoder les nations autochtones ou d’obtenir leur consentement?

M. Obed : Je peux commencer. Je vous remercie de votre question.

Je suis venu dans cet édifice et dans les salles de comité à plusieurs reprises pour examiner le projet de loi S-13, qui a été adopté par le dernier gouvernement et qui portait sur la Loi d’interprétation. Il s’agissait d’ajouter une disposition de non-dérogation universelle. Le projet de loi à l’étude ne contient pas de disposition de non-dérogation en raison, je crois, du bon travail qui a été accompli. J’espère donc que le gouvernement ne s’imagine pas qu’une mesure législative lui permettra de faire fi de nos droits constitutionnels et de les enfreindre à sa guise. Si telle est son intention, les personnes concernées manifesteront une opposition monstre qui prendra toutes sortes de formes.

Pour les Inuit, le problème avec ce projet de loi, c’est que nous voulons le soutenir. Nous sommes en accord sur les objectifs. Nous voulons être aux côtés de tous les Canadiens pour bâtir notre économie — pour unifier notre économie — et pour réaliser de grands projets d’infrastructure d’intérêt national. Cependant, les termes qui sont censés intégrer les Inuit ou les peuples autochtones, de manière générale, semblent avoir été utilisés à la légère comme s’ils n’avaient pas de signification. Le problème, c’est qu’ils ont une signification extrêmement profonde dans le tissu de la Constitution, à la Cour suprême et du fait de leur statut législatif au Canada.

Je pense que c’est là que nous allons à l’encontre de notre intention commune.

Le sénateur Francis : Merci. Madame la Cheffe nationale, souhaitez-vous répondre?

Mme Woodhouse Nepinak : Je vous remercie de votre question.

Les Premières Nations doivent disposer de plus de temps. Nous avons besoin de temps pour nous réunir, pour mener à bien ce processus de manière légale, appropriée et éthique, et pour examiner l’angle politique. Nous avons besoin de temps pour discuter entre nous, mais nous ne l’avons pas encore eu. Nos dirigeants se réuniront les 3, 4 et 5 septembre. Nous devions nous réunir à la mi-juillet mais, en raison des incendies de forêt, nous avons dû éviter de monopoliser des chambres d’hôtel. Nos dirigeants ont pris l’initiative de proposer que la rencontre soit reportée au mois de septembre.

Heureusement, nous pensons les uns aux autres. Je vous invite tous à penser à toutes les personnes qui n’ont pas eu le temps qu’il leur fallait, ce qui a une incidence sur leurs droits. Nous devons leur laisser l’été. Bon nombre de nos Chefs luttent actuellement contre des incendies de forêt. Nous demandons un peu de temps.

Nous ne demandons pas grand-chose, je pense. C’est un chemin qui nous est familier. Nous devons nous donner le temps de discuter, de débattre, d’échanger et de parler d’amendements ou de toute autre décision que les gens pourraient prendre — il se peut que certaines personnes n’aiment pas du tout ce projet de loi. Nous n’avons même pas encore eu cette conversation. Respectons-nous les uns les autres. Merci.

M. Chartrand : Je vois les choses différemment. Comme je l’ai dit, mon gouvernement a beaucoup discuté de cette question. Nous parlons de l’avenir. Les gens doivent comprendre que les gouvernements autochtones et métis ne se contentent pas de discuter de leurs problèmes, de leurs besoins ou de ce qui pourrait améliorer leur situation. Nous examinons le pays et la province, et nous nous demandons où en est ce pays. Où en est-il?

En ce moment même, ce pays fait déjà face à plusieurs crises financières, sans que Donald Trump ait besoin d’intervenir. Nous le savons tous. Ce pays est en déficit et tente de s’en sortir, mais, si rien ne change, il risque de connaître des difficultés financières encore plus grandes dans un avenir très proche.

Notre cabinet s’est donc posé la question suivante : comment pouvons-nous faire notre part? Je partage entièrement les préoccupations exprimées par la Grande Cheffe Woodhouse Nepinak et le président Obed, qui craignent que l’on nous demande de peut-être renoncer à certains aspects de la méthode que nous avons apprise ou qui nous ont permis d’en arriver jusqu’ici en matière de consultations, de partenariats et d’inclusion des peuples autochtones dans ce pays.

Prenons l’exemple de la politique d’approvisionnement, annoncée il y a plus de 20 ans au Canada. L’approvisionnement a enfin fait des progrès au cours des cinq dernières années environ. Cette situation change l’économie à grande échelle pour nos gens; nous avons maintenant l’occasion de postuler à des emplois, de créer des entreprises et de nous frotter à la concurrence. Or, nous nous trouvons maintenant dans une situation où le temps risque de manquer. C’est ce dont parle notre cabinet: le temps est-il une question qui devrait préoccuper tout le monde? Nous sommes d’avis que oui.

La Première Guerre mondiale et la Seconde Guerre mondiale sont arrivées très rapidement. Tout à coup, il a fallu rassembler nos gens. Des représentants du gouvernement sont venus dans nos villages et nos communautés pour nous demander de nous engager en grand nombre, ce que nous avons fait. Nous nous sommes battus pour le pays auquel nous croyions. Aujourd’hui, nous sommes menacés. Nous ne pouvons pas prendre à la légère le discours de ce fou du Sud. Ses actions, on le voit, sont en train de ruiner sa propre économie. La situation va empirer au lieu de s’améliorer. Il va devoir jeter le blâme sur quelqu’un, et il va certainement se tourner vers nous, ses voisins. Il nous a pris à partie pour le fentanyl, alors que la drogue qui passe par le Canada ne représente que 1 % du trafic de fentanyl.

Compte tenu de l’époque dans laquelle on se trouve, il faut rétablir notre lien de confiance. Vous avez entendu la question de la sénatrice du Yukon, qui a déclaré que ce n’était pas sorcier d’élaborer par écrit un processus de consultation en bonne et due forme que le secteur privé, le gouvernement et nous pourraient comprendre. Une telle chose devrait être facile à faire. On pourrait créer le conseil consultatif des Premières Nations, des Métis et des Inuit du jour au lendemain en réunissant les dirigeants et en s’entendant sur son fonctionnement et son mandat : sera-t-il chargé de donner des conseils ou aura-t-il des pouvoirs?

C’est faisable, et il faut certainement en faire davantage dans le contexte où le gouvernement cherche à clarifier les choses. Cela ne fait aucun doute. Pour notre part, nous observons attentivement la situation. La situation économique du Canada m’inquiète parce que, si elle se détériore, je sais très bien que mon peuple en pâtira. Je sais très bien que l’on éliminera des programmes qu’il nous a fallu des décennies à obtenir. Il nous a fallu des décennies pour obtenir des logements. C’est la première fois que nous obtenons des logements depuis probablement 40 ou 50 ans. Nous les avons obtenus il y a environ sept ans. Maintenant, ces programmes disparaîtront.

Nous avons enfin obtenu du financement pour l’éducation de nos jeunes : 5 000 $ pour une bourse universitaire. Est-ce que cela va disparaître maintenant? Nous venons tout juste de commencer à investir dans l’avenir de notre peuple. Tout cela va être remis en question par ce qui se passe en ce moment.

Le temps presse, certes, mais la confiance est primordiale. Si le gouvernement veut notre soutien sur toute la ligne, il doit nous donner quelque chose de plus concret, des mesures qui peuvent être mises en œuvre d’un seul trait de plume du premier ministre. Cela peut se faire assez rapidement. Alors, faisons-le. Cependant, le temps ne joue pas en notre faveur, c’est certain.

Le sénateur Klyne : Je tiens tout d’abord à vous remercier d’être venus, de nous avoir fait part de vos observations préliminaires et d’avoir accepté de partager vos connaissances.

Je voudrais vous parler très rapidement de la clause dite Henri VIII qui figure aux articles 21, 22 et 23 de la partie 2 du projet de loi C-5. Selon les professeurs de droit à l’Université de Calgary David Wright et Martin Olszynski, ces articles accordent au Cabinet le pouvoir illimité de modifier l’application de pratiquement toutes les lois dûment adoptées par le Parlement, y compris les exemptions. Cela pourrait inclure les lois environnementales et la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui peut être utilisée pour interpréter l’article 35 qui porte sur les droits constitutionnels des Autochtones. Ils ont récemment écrit :

Cet aspect du projet de loi C-5 semble totalement injustifié et devrait être modifié au cours du processus parlementaire.

Êtes-vous en faveur de l’utilisation de la clause dite Henri VIII pour accélérer les projets, ou avez-vous des inquiétudes quant à la suspension potentielle des lois environnementales et des droits autochtones reconnus par la loi? Veuillez indiquer si vous êtes au courant de cette clause ou si vous comptez y avoir recours.

Mme Woodhouse Nepinak : Comme je l’ai dit, les Chefs et les assemblées des Premières Nations doivent se réunir, tout comme vous le faites ici. Nous voulons jouir de ce privilège nous aussi. Nous vous reviendrons à ce sujet après avoir rencontré les Chefs et les assemblées. Nous demandons l’appui du Sénat à cet égard. Merci.

M. Chartrand : J’ajouterais qu’une des façons les plus simples de comprendre la situation est la suivante : quand le premier ministre et le Parlement canadiens ont voulu proposer le projet de loi C-5, qu’ont-ils fait? Ils ont tout de suite organisé une réunion des dirigeants des territoires et des provinces. Nous sommes des dirigeants; quand nous a-t-on conviés à une telle réunion? Cette réunion aurait dû être organisée dès le départ, comme dans le cas des premiers ministres et des dirigeants des territoires. Il ne faudrait pas beaucoup de temps pour en organiser une. Encore une fois, il faut prévoir du temps pour cela.

Si c’est la plus haute priorité, ce qui devrait être le cas au Canada, alors il faut rapidement tenir une réunion entre le premier ministre et nous, les dirigeants autochtones, afin d’arriver à une entente, à un partenariat ou à une solution qui nous satisfasse.

(1810)

M. Obed : J’ai eu une brève discussion avec le premier ministre à ce sujet, et on m’a assuré que ce projet de loi n’aurait absolument aucun impact sur la mise en œuvre des accords sur les revendications territoriales que nous avons conclus et sur les processus qui en découlent en ce qui concerne les évaluations environnementales, d’autres institutions et organismes gouvernementaux ou les organismes mentionnés précédemment. Je m’assurerai que le premier ministre tienne sa parole à ce sujet.

La sénatrice Coyle : Je remercie nos invités de leur présence aujourd’hui et je leur suis reconnaissante pour leur honnêteté et leurs conseils. C’est très précieux pour nous.

Mes questions s’adressent à vous, monsieur le président Obed, et je vais les poser ensemble. Je vous donne une longueur d’avance. Je suis ravie de vous revoir.

Tandis que nous discutons du projet de loi C-5, le projet de loi sur l’unité de l’économie canadienne, je crois que tous ceux qui considèrent le Canada comme leur foyer sont impatients — et nous avons entendu parler de cette impatience ici — de développer une économie plus robuste, plus résiliente et plus durable, où les possibilités et les retombées sont partagées à grande échelle dans le respect des droits. C’est ce que nous entendons ici aujourd’hui.

Monsieur le président Obed, nous entendons beaucoup parler de l’importance de la sécurité et de la souveraineté dans l’Arctique, ce qui est également prévu dans l’Inuit Nunangat. Il y a là un grand chevauchement. Vous nous avez instamment invités à accorder une attention particulière à cet aspect et à offrir de meilleures infrastructures et de nouvelles possibilités économiques.

J’ai deux questions, et je vais les poser en même temps.

Tout d’abord, monsieur le président Obed, compte tenu de cette occasion qui s’offre au Canada de devenir une véritable nation arctique, comme vous et d’autres l’avez mentionné, y a-t-il des projets d’intérêt national qui devraient être au haut de la liste des priorités du point de vue de la gouvernance et de la participation des Inuit?

Deuxièmement, monsieur le président Obed, l’âge médian des jeunes Inuit est 23 ans. L’une des priorités de l’Inuit Tapiriit Kanatami est la création d’une université de l’Inuit Nunangat. La ministre Freeland, qui était avec nous plus tôt aujourd’hui, a parlé de soutien pour les partenaires autochtones en vue de renforcer les capacités. Considérez-vous l’université comme un partenaire important de renforcement des capacités en ce qui concerne les projets d’édification du pays dans l’Inuit Nunangat? Voilà mes deux questions.

M. Obed : Il est beaucoup plus facile de répondre au deuxième volet de votre question qu’au premier. Oui, tout à fait, le projet de l’université de l’Inuit Nunangat, qui, souhaitons-le, ouvrira ses portes en 2030, est l’essence même d’un projet d’édification du pays. Le Canada est le seul pays de l’Arctique n’ayant pas d’université en région arctique. Je sais que le Collège du Yukon est devenu une université, et je n’essaie pas de lancer une chicane avec le Yukon. Nous sommes réellement impatients de collaborer avec le gouvernement du Canada pour concrétiser ce projet.

S’inscrit-il dans la portée du projet de loi C-5? Est-il à la mode d’appuyer l’éducation et l’éducation des Autochtones? Nous n’en sommes pas certains. Dans le mémoire que nous avons soumis dans le cadre des consultations prébudgétaires, nous avons demandé 50 millions de dollars. Nous avons également demandé une loi fédérale qui autoriserait l’université à mener ses activités dans l’ensemble du territoire du pays.

Donc oui, je crois que cette définition ouverte de projet d’édification du pays doit inclure des infrastructures à vocation sociale et éducative, et investir dans les gens. On ne peut se détacher du fait que ce sont les Canadiens qui vont bâtir cette économie et que nous devons nous mobiliser comme jamais auparavant.

En ce qui concerne nos projets d’intérêt national, nous avons un rapport qui recense 79 projets répartis dans les quatre régions de l’Inuit Nunangat. Nous espérons les rendre publics dans le courant de la semaine prochaine. Il y a une multitude de projets différents qui vont de la construction de centres de la petite enfance à des projets d’aqueducs et d’égouts, en passant par la protection de plusieurs communautés contre l’érosion côtière. Je dirais qu’investir dans l’Inuit Nunangat, c’est investir dans le Canada, et intégrer l’Inuit Nunangat au Canada, c’est un exercice d’intérêt national. Encore une fois, la question est celle des critères qui définissent les types de projets qui seront mis en œuvre, qu’il s’agisse de projets sociaux plus traditionnels, de nouveaux investissements ou de nouvelles possibilités pour le Canada de développer son économie grâce à des projets dans l’Arctique. Nous espérons donc faire un peu de tout, mais toujours sous l’étendard universel de l’unification de l’économie.

La sénatrice Greenwood : Bienvenue. Je suis très heureuse de vous voir tous ici.

En 2021, le Parlement a transposé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans la législation canadienne. Vous en avez un peu parlé aujourd’hui, mais je voudrais vous donner l’occasion d’y revenir.

L’article 18 traite de la participation des peuples autochtones à la prise de décisions qui les concernent. L’article 19 établit que les gouvernements doivent obtenir le consentement préalable des peuples autochtones, donné librement et en connaissance de cause. L’article 32.2 précise que les États doivent consulter de bonne foi les peuples autochtones à propos de tout projet concernant leurs ressources qui nécessite leur consentement préalable donné librement et en connaissance de cause.

J’ai deux questions. La première est la suivante : comment concevez-vous le respect de ces articles par le gouvernement dans le contexte du projet de loi C-5?

La deuxième question est la suivante : comment savoir quand un projet a réellement obtenu le consentement préalable donné librement et en connaissance de cause? À quoi cela ressemblerait-il?

Mme Woodhouse Nepinak : Merci. Je vais laisser à Mme McGregor le soin de répondre à ces questions.

Mme McGregor : Meegwetch, sénatrice, de vos questions. Comme l’a dit la Cheffe nationale, si vous examinez les dispositions du projet de loi C-5, l’obligation de consulter et la norme de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, prévues dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et confirmées dans la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ne sont pas mises en œuvre dans la mesure législative. Cela signifie qu’à l’exception du préambule, qui fait référence à la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et à l’obligation de consulter, ces normes ne sont pas incluses concrètement dans le projet de loi. C’est matière à interprétation. Il est donc difficile de voir quelle forme elles prendraient dans le projet de loi. Comme l’a affirmé la Cheffe nationale, nous sommes encore en train d’examiner ce dernier. Nous l’étudions, mais les normes en question ne semblent pas y être mises en œuvre.

Comment cela pourrait-il se faire? En menant davantage de consultations auprès des titulaires de droits et des Premières Nations, nous pourrions inclure ces normes dans le projet de loi. Il semble que cela exigerait des amendements mais, comme il a déjà été dit, nous n’avons pas eu suffisamment de temps pour consulter les titulaires de droits à ce sujet. Meegwetch.

M. Obed : De manière générale, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui a été élaborée conjointement, a constitué un moment fort pour le Canada en tant que chef de file mondial de la mise en œuvre de cette déclaration. Je pense que la mise en œuvre de cette loi a démarré très fort avec la création d’un plan d’action dans l’année qui a suivi le dépôt du projet de loi ou son adoption.

Depuis, le gouvernement du Canada a éprouvé des difficultés et n’a pas mis en œuvre la loi de manière significative afin d’être prêt pour ce moment. J’espère sincèrement que cela fera partie des priorités du nouveau gouvernement, à savoir revenir au plan d’action et le mettre en œuvre dans le cadre de ses activités.

M. Chartrand : Merci de la question. Vous avez soulevé trois sujets, mais le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est celui qui est lié à la question de la clarté.

Il y a quelque temps, au Sénat — même si ce n’était pas dans cet immeuble —, des sénateurs ont dit que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones allait tuer l’économie, qu’elle allait entraîner la destruction de l’économie de l’Ouest du Canada. Ô surprise, ce n’est pas arrivé. Je ne vais pas nommer les sénateurs concernés. L’un d’eux est un ami. Nous sommes toujours amis, même s’il a tenu ces propos déplaisants. Cela dit, en tant que gouvernement national, le gouvernement national des Métis de la rivière Rouge, nous avons aussi déclaré que le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause n’est pas un droit de veto. C’est un outil qui permet de clarifier la façon dont nous lançons les discussions, ainsi que les rôles et les responsabilités de chacun. Nous continuons d’adopter cette position aujourd’hui.

Je pense qu’il apporte de la clarté, et le secteur privé en a également besoin. Il faut se rappeler que lorsqu’un investissement est réalisé quelque part, ce sont les actionnaires, les citoyens et parfois des personnes fortunées qui y mettent beaucoup d’argent, et ils veulent des résultats et des garanties. Il peut aussi y avoir un projet qui ne donne aucune garantie, mais qui deviendra réalité. Par exemple, le Canada a dû acheter le pipeline et envisage maintenant de le faire passer par la Colombie-Britannique, mais la province a déjà indiqué qu’elle s’opposerait à tout pipeline sur son territoire, même en cette période de crise que traverse notre pays. Le Québec ne veut pas non plus qu’un pipeline passe sur son territoire. Le Manitoba est un endroit formidable, je vous le dis d’emblée, si on regarde la baie d’Hudson. Notre premier ministre fait avancer le processus dans l’Arctique.

(1820)

Comme je l’ai dit, pour ce qui est de cette relation, il aurait fallu suivre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones comme il se doit. Je suis d’accord avec Natan pour dire que, bien que les choses aient démarré en trombe, les ardeurs se sont considérablement refroidies depuis.

Beaucoup parmi vous ont probablement entendu parler du principe de Jordan. Le principe de Jordan ne s’applique pas aux Métis. Le saviez-vous? Nous n’y sommes pas admissibles. Mon petit-fils a reçu exactement le même diagnostic que Jordan, qui est mort à l’hôpital. Ils avaient la même maladie. Mon petit-fils était censé mourir à l’âge d’un an. C’est ce que les médecins ont dit parce qu’il avait les mêmes symptômes que Jordan. Il a vécu au-delà de l’âge d’un an. Nous avons pris une décision : ma fille a dit non aux médecins qui voulaient le garder et l’étudier parce qu’il était le vingt-cinquième ou le vingt-sixième au monde à avoir ces deux syndromes en même temps. C’est comme ça que Jordan est décédé à l’hôpital; il n’est jamais rentré chez lui.

Ma fille a pris mon petit-fils dans ses bras et elle leur a dit : « Vous n’allez pas l’étudier, il va rentrer à la maison. » Ils ont dit : « Il ne vivra jamais plus d’un an et vous ne pourrez jamais vous occuper de lui. » Ma fille et mon gendre ont tout abandonné. Ils ont élevé ce petit garçon. Il a dépassé l’âge d’un an. Les médecins ont dit qu’il ne dépasserait jamais l’âge de cinq ans. Il a dépassé l’âge de cinq ans. Il a 16 ans. Il n’a jamais marché, il n’a jamais parlé, il ne peut que lever et baisser les yeux, et il mange à l’aide d’un tube, mais il n’est pas couvert par le principe de Jordan. Réfléchissez un instant. Dans notre pays, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones nous garantit ce droit, mais il ne nous est pas reconnu au Canada.

Je vais probablement intenter des poursuites contre le gouvernement et le pays pour ne pas avoir fourni des services de façon équitables et pour avoir traité mon petit-fils et mon peuple comme si nous n’avions aucun droit, alors que nous avons des droits garantis par la Constitution du Canada et que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est censée résoudre ce problème, mais ce n’est pas le cas.

Effectivement, les ardeurs se sont considérablement refroidies depuis le début. Natan a tout à fait raison. Les choses avaient très bien commencé et semblaient très prometteuses pour nous, puis la bonne volonté s’est estompée. Malgré cela, nous sommes encore ici pour soutenir un pays qui ne veut pas nous aider.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je remercie tous les témoins d’être des nôtres aujourd’hui. Nous avons dû organiser cette réunion à la dernière minute, alors je suis vraiment heureuse que vous soyez ici. Je suis heureuse de vous voir.

Monsieur Chartrand, l’automne dernier, votre nation a signé un traité. Elle est la première et la seule nation métisse du Canada à avoir signé avec le gouvernement du Canada un traité reconnaissant la Fédération des Métis du Manitoba en tant que gouvernement des Métis de la rivière Rouge.

Selon le paragraphe 5(6) de ce projet de loi, pour décider si le projet est d’intérêt national, on déterminerait « notamment dans quelle mesure le projet peut : [...] d) promouvoir les intérêts des peuples autochtones », ce qui concerne votre gouvernement, c’est-à-dire la Fédération des Métis du Manitoba. Pouvez-vous me dire, monsieur Chartrand, comment les dispositions du projet de loi — et plus particulièrement les projets d’intérêt national — peuvent promouvoir les intérêts de votre nation?

M. Chartrand : Merci beaucoup pour cette question. J’ai souri lorsque vous avez dit que nous étions les seuls Métis à avoir signé un traité. Voici une petite leçon d’histoire : rappelons que le traité avait été promis en 1870. Il devait être conclu en 1870, lorsque Louis Riel a mené le gouvernement autochtone dans des négociations visant à faire entrer la province du Manitoba dans la Confédération. Une promesse avait été faite à l’époque de la reine Victoria que le traité serait établi. Nous négocions avec les « sang-mêlé », comme ils disaient, et cela sera fait avant que nous puissions vendre les terres et envoyer une armée pour combattre le soulèvement des Métis dans l’Ouest.

C’est ce qui s’est passé, mais il n’y a pas eu de traité. John A. Macdonald n’a pas envoyé de négociateurs. Il a envoyé une armée pour nous attaquer. Les négociations n’ont jamais eu lieu. Je suis extrêmement fier, sénatrice, que nous ayons enfin obtenu la signature d’un traité, car nous l’attendons depuis 154 ans. Il sera présenté à cette assemblée, et j’espère qu’elle appuiera ce que nous attendons depuis si longtemps. Nous sommes très patients. Cent cinquante-quatre ans, c’est long, alors j’ai hâte de parvenir au but. Le traité a été signé par le Canada, mais il change notre façon de faire des affaires. Il change même la perception que l’industrie a de nous et les relations que nous avons avec elle. Il change complètement nos relations parce qu’il nous attire le respect. Il ne s’agit pas d’argent, mais de respect.

Comme je l’ai dit en réponse à une question posée plus tôt par la sénatrice assise à droite, je ne représente pas une organisation, mais un gouvernement. Nous avons toujours été un gouvernement depuis 1870. J’en suis très fier. Notre façon de fonctionner est celle d’un gouvernement. Notre structure est celle d’un gouvernement. Je dirais même que nous sommes mieux structurés que le gouvernement fédéral du Canada.

Quand j’examine ce qui est proposé et le contexte, je pense que ce traité sera un facteur de changement pour notre nation. Il établira un cadre qui montre comment nous nous inscrivons véritablement au sein de la Confédération et comment nous pouvons changer les choses. J’ai lu quelque chose à propos des projets nationaux dans ma présentation de cinq minutes, mais j’ai lu tellement vite que je ne sais même plus ce que j’ai dit. J’essayais de respecter le temps qui m’était imparti.

La Cour suprême du Canada a déclaré que la revendication territoriale, l’article 31, revêt une importance constitutionnelle nationale. Il ne fait donc aucun doute que cela devrait faire partie des obligations ou du programme actuels du pays. Si nous disposions de cet argent aujourd’hui, imaginez combien j’en utiliserais pour me préparer à cette bataille économique avec le Sud. J’utiliserais les ressources à ma disposition et je travaillerais d’arrache-pied pour apporter des changements, non seulement pour moi, mais aussi pour ma province et pour l’Ouest.

Je pense qu’il y a là une belle occasion à saisir. J’ai consacré ma vie au traité. C’est quelque chose que j’attends depuis longtemps, tout comme les dirigeants qui m’ont précédé, et j’espère que les futurs dirigeants n’auront plus à l’attendre.

Lorsque je pense à l’avenir, j’attends avec impatience un changement qui me permettra de ne plus avoir à craindre que nos enfants soient victimes de racisme et de discrimination, comme l’a été Jordan Anderson. Pourquoi traite-t-on mon petit-fils de façon si différente alors qu’il a les mêmes symptômes? Le Seigneur nous l’a donné jusqu’à l’âge de 16 ans. On dit qu’il ne vivra probablement pas beaucoup plus longtemps que la vingtaine.

Voici où je veux en venir : cette pratique discriminatoire fondée sur la race existe encore au Canada, et cela doit cesser. Souvenez-vous de l’époque où on parlait d’éliminer le Sénat. Certains voulaient abolir le Sénat, cette enceinte, et je m’y suis opposé en tant que leader de l’Ouest. J’ai dit : « C’est un lieu de second examen, où règne le calme, où on réfléchit, où on a l’occasion de se pencher sur les enjeux et, espérons-le, de faire ce qui s’impose. »

Voici un bon exemple. Vous demandez que certains changements importants soient mis en œuvre très rapidement au Canada. Le pays nous demande de céder afin de l’aider à atteindre cet objectif. Si nous acceptons, serons-nous à nouveau laissés pour compte une fois que le pays aura obtenu ce qu’il veut et que son économie sera renforcée par les minéraux, le pétrole et toutes les ressources naturelles? Ou serons-nous oubliés pendant et après le processus? J’espère que non. J’espère que le Sénat ne le permettra jamais.

De mon point de vue, je viens ici avec l’esprit ouvert pour vous dire haut et fort que j’appuie la mise en œuvre du projet de loi C-5. Je fais confiance aux autorités de ce pays pour agir dans notre intérêt et dans celui du Canada. Nous sommes en guerre. Comprenez bien qu’il s’agit d’une guerre. Ce n’est pas une guerre avec des armes à feu, mais une guerre économique qui aura des effets destructeurs et qui entraînera probablement l’endettement, la faim et la souffrance.

Voilà ce que j’ai à vous dire. Je vous remercie infiniment de votre question. Je vais bientôt quitter ce monde — j’ai 65 ans — et si j’ai la chance de vivre jusqu’à 75 ans, dans 10 ans, je pourrai partir avec un sourire aux lèvres si notre traité a enfin été conclu, après 154 ans d’attente.

La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. Je pense que nous écrivons aujourd’hui une page d’histoire, car c’est peut-être la première fois que les trois Chefs nationaux autochtones sont réunis au Sénat dans le cadre d’un comité plénier. J’espère que nous pourrons vérifier cela, mais c’est ce que je crois savoir.

Madame la Cheffe nationale Woodhouse Nepinak, vous avez récemment déclaré :

Les Premières Nations souhaitent autant que quiconque ouvrir de nouveaux débouchés économiques et faire face aux menaces économiques. Nous avons également des droits qui ne peuvent être ignorés.

Le gouvernement Carney promet que le projet de loi C-5, la Loi sur l’unité de l’économie canadienne, permettra de soustraire des projets d’intérêt national aux lois du Parlement et qu’il sera adopté à la Chambre des communes cette semaine. Or, différentes lois fédérales imposent des obligations au Canada, notamment celle qui a été adoptée en 2021 pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

(1830)

Madame la Cheffe nationale, si le projet de loi C-5 entre en vigueur ce mois-ci, quelles sont, à votre avis, les prochaines étapes pour les Premières Nations?

Monsieur le président Chartrand, en reconnaissance du statut juridique unique du gouvernement des Métis de la rivière Rouge du Manitoba, ai-je bien compris que vous appuyez les dispositions relatives aux consultations et à la participation que contient présentement le projet de loi C-5?

Monsieur le président Obed, si le projet de loi C-5 entre en vigueur sans être amendé, quel pourra être l’apport des Inuit dans les processus décisionnels en matière d’environnement selon vous?

Mme Woodhouse Nepinak : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Il faut absolument envisager les prochaines étapes. Je pense qu’aucune option n’est écartée. C’est pourquoi je dis qu’il faut profiter de l’été et de l’automne pour examiner attentivement le projet de loi. Nous devons en discuter et en parler avec les Premières Nations.

Je ne pense pas que quoi que ce soit ait été écarté. Je suis sûr que les Premières Nations y réfléchissent déjà. Nous avons eu quelques conversations. Cependant, je ne suis pas en mesure de vous en dire plus pour le moment. Il est certain que les membres de l’assemblée des Chefs prendront une décision ensemble et que nous présenterons un front uni lors de notre prochaine interaction.

Je pense qu’il incombe à vous tous, membres du gouvernement et du Sénat, de faire le gros du travail pendant que vous étudiez le projet de loi dans cette enceinte. En même temps, je pense que nous jouissons d’une excellente occasion de faire les choses différemment au Canada, de travailler ensemble et de nous unir. Invitons tout le monde à la table : le premier ministre, tous les membres du Cabinet, les sénateurs et les membres des Premières Nations.

Les membres des Premières Nations sont les propriétaires fonciers de ce pays et je pense qu’ils doivent être respectés. Ils sont les propriétaires d’origine de ce pays. Ils sont ici depuis des temps immémoriaux et doivent être respectés en tant que tels, car ce sont leurs ressources que nous continuons à exploiter en tant que pays tout en offrant à bon nombre de ces communautés des conditions de vie médiocres.

Ayons cette conversation difficile. Ce ne sera pas facile, mais je pense qu’en travaillant main dans la main et en parlant les uns avec les autres, nous pouvons améliorer cet endroit.

Je sais que nous sommes un pays jeune. Certaines de ces choses qui nous arrivent sont nouvelles. Nous traversons une période sans précédent. Les Premières Nations le comprennent. Elles veulent aussi grandir et s’épanouir, mais pas au détriment de leurs droits.

Nous vous demandons à tous de prendre le temps d’ouvrir cette enceinte pour entendre directement ce qu’elles ont à dire. C’est tout ce que nous demandons, d’une manière bienveillante et positive, en tant que partenaire de traité. Il y a beaucoup de gens visés par des traités, des gens qui ont des droits inhérents, d’un océan à l’autre, qui veulent venir ici et vous parler. Vous devriez les écouter. Accordez-leur ce respect.

M. Chartrand : Vous m’avez posé une question claire : est-ce que j’appuie les dispositions sur la consultation du projet de loi C-5? J’ai déclaré au Sénat que j’appuie la consultation, mais nous avons besoin de plus de précisions. Nous devons comprendre ce que représente cette consultation, comme l’a demandé la sénatrice du Yukon. À quoi ressemblera le processus de consultation?

Le secteur privé souhaitera également avoir des précisions, tout comme nous. Nous devons en avoir.

En outre, il y a la participation du conseil consultatif autochtone. En quoi consistera-t-elle? Que représente ce conseil, et quels sont ses pouvoirs?

Toutefois, dans l’ensemble, si vous clarifiez les choses, ce qui peut se faire très rapidement, vous obtiendrez mon appui, et je continuerai d’appuyer le Canada.

C’est on ne peut plus simple, et cela peut être réalisé du jour au lendemain.

M. Obed : Étant donné que nous ne connaissons le contenu de ce projet de loi que depuis une semaine environ, je ne suis pas certain que nous en connaissions les conséquences d’une manière ou d’une autre. De plus, nous n’avons pas pris connaissance de la liste des projets.

Ce que je sais, c’est que les Inuit sont prêts à travailler avec le gouvernement du Canada, les provinces et les territoires à des projets d’intérêt national, et j’espère que nous pourrons le faire d’une manière qui respecte l’environnement et les droits des Autochtones et qui, au bout du compte, nous aide et aide le Canada.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, le comité siège depuis maintenant 75 minutes, et je regrette de devoir interrompre les délibérations.

Au nom de tous les sénateurs, je vous remercie de vous être joints à nous aujourd’hui et de nous avoir aidés dans nos travaux concernant ce projet de loi.

Des voix : Bravo!

Le président : Honorables sénateurs, est-il convenu que je fasse rapport du fait que le comité a terminé ses travaux pour aujourd’hui?

Des voix : D’accord.


Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le Sénat reprend sa séance.

[Traduction]

Rapport du comité plénier

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, le comité plénier, qui a été autorisé par le Sénat à étudier la teneur du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada, fait rapport du fait qu’il a terminé ses travaux pour aujourd’hui.


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Le vol 182 d’Air India

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, il y a 40 ans ce mois-ci, le 23 juin 1985, le vol 182 d’Air India a décollé de Montréal, à destination de Londres, puis de Delhi et de Mumbai. Mais le 747 n’est jamais arrivé. Il a explosé au-dessus des côtes irlandaises, tuant les 329 personnes à bord, dont 268 citoyens canadiens, 27 citoyens britanniques et 22 citoyens indiens.

Ce fut le pire attentat terroriste de l’histoire du Canada.

Une deuxième bombe destinée au vol 301 d’Air India a explosé lors du transfert des bagages à l’aéroport international de Narita, à Tokyo. Les terroristes sikhs extrémistes canadiens avaient l’intention de faire exploser l’avion en vol, mais comme les conspirateurs n’ont pas tenu compte de la différence entre l’heure avancée du Canada et celle du Japon, les passagers ont été épargnés. Deux bagagistes japonais n’ont pas eu cette chance et sont morts lorsque la bombe a explosé.

Ces actes de violence politique brutale ont déchiré des familles et traumatisé la communauté sud-asiatique du Canada pendant des décennies. Il a fallu des années pour que les terroristes soient traduits en justice, et nous sommes honorés d’avoir parmi nous notre nouveau collègue, le sénateur Baltej Dhillon, l’un des enquêteurs de la GRC qui a travaillé si dur sur cette enquête compliquée.

En 2010, le Canada a tardivement achevé une enquête judiciaire publique et a présenté ses excuses, à la fois pour les lacunes en matière de sécurité et de renseignement qui ont permis à ce meurtre de masse de se produire et pour le fait que le gouvernement de l’époque a donné à beaucoup l’impression que les victimes d’Air India n’étaient en quelque sorte pas de vrais Canadiens et que leur mort ne comptait pas comme une perte pour l’ensemble du pays.

(1840)

Depuis 1985, nous avons parcouru beaucoup de chemin en tant que nation multiculturelle, mais 40 ans plus tard, nous voilà de nouveau dans une période où les dirigeants politiques de l’Inde et d’autres pays exploitent les différences religieuses et les préjugés culturels pour servir leurs propres intérêts et où les tensions politiques en Inde sont instrumentalisées pour tenter de semer la discorde parmi la communauté sud-asiatique chez nous.

Par ailleurs, le visage du terrorisme a changé depuis l’attentat contre Air India et depuis les événements du 11 septembre 2001. Aujourd’hui, les actes de terrorisme politique et les assassinats perpétrés à travers le monde sont généralement le fait non pas de groupes de conspirateurs, mais plutôt d’extrémistes isolés, voire par d’acteurs étatiques.

À une époque où tant de forces malveillantes cherchent à nous diviser, à nous désinformer et à exploiter toutes sortes de haines à des fins politiques, nous, Canadiens, devons être vigilants non seulement face aux terroristes, mais aussi face à nos propres partis pris et préjugés historiques. Alors que nous soulignons un sombre anniversaire, honorons la mémoire de nos frères et sœurs canadiens disparus en nous engageant à lutter contre l’intolérance, la polarisation et l’extrémisme sous toutes leurs terrifiantes formes.

Des voix : Bravo!

Le décès d’Alia Hogben

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je tiens à remercier mes collègues du caucus conservateur pour ce temps de parole.

Aujourd’hui, je vais vous parler d’une femme extraordinaire qui est morte ce matin, Alia Hogben, qui était l’une des dirigeantes du Conseil canadien des femmes musulmanes, mais qui a été pour moi une mentore et une amie très chère. Reconnue pour son travail remarquable en faveur de l’affirmation des musulmanes, c’était une féministe et une pionnière. Née de parents indiens au Myanmar, elle a vécu dans plusieurs pays avant d’immigrer au Canada, il y a plus de 50 ans.

Alia a toujours défendu les droits des musulmanes, tant au sein de groupes confessionnels qu’à l’extérieur. Elle faisait la promotion de valeurs progressistes et elle plaidait pour la tolérance religieuse, la diversité et le dialogue interconfessionnel. En 1982, Alia a été l’une des fondatrices du Conseil canadien des femmes musulmanes, une organisation à but non lucratif dirigée par des femmes qui existe encore aujourd’hui et qui se consacre à l’autonomisation des musulmanes et de leur famille, ainsi qu’à la reconnaissance et au respect de la Charte canadienne des droits et libertés.

J’ai commencé à travailler avec Alia lorsque j’ai été appelée à fournir des conseils stratégiques à titre gracieux après que la Loi sur l’arbitrage de l’Ontario ait déclaré que les tribunaux d’arbitrage pouvaient contourner les tribunaux de l’Ontario, ce qui aurait permis aux imams d’appliquer la charia. Alia était l’une des rares voix musulmanes à s’élever pour dire « non, nous sommes au Canada, nous avons une Charte des droits et libertés dont les articles 15 et 28 garantissent l’égalité des femmes musulmanes avec toutes les autres femmes au Canada ». C’était un combat qui semblait perdu d’avance, mais j’ai travaillé avec Alia et d’autres musulmanes et j’ai vu ce qui se passe quand des discussions ont lieu en personne avec les législateurs. En fait, nos démarches ont porté leurs fruits.

En conclusion, permettez-moi de dire, de manière très spontanée, que de temps à autre, nous voyons dans ce pays des leaders qui vont bien au-delà de ce que leur religion, leur sexe ou leur culture leur impose, et ce sont ces leaders qui unissent les gens, qui écoutent les gens. Alia Hogben, par sa beauté — dans tous les sens du terme —, par sa gentillesse et par son courage, était exactement ce genre de leader. Je vous invite à pleurer son départ avec moi. Merci.

Des voix : Bravo!

L’économie du cerveau

L’honorable Katherine Hay : Honorables sénateurs, je prends la parole pour attirer votre attention sur l’économie du cerveau. Le 14 juin, le Sommet du G7 sur l’économie du cerveau au Canada s’est réuni pour lancer un appel à l’action spécifique aux dirigeants du G7 afin qu’ils adoptent un plan d’action à l’échelle du G7 sur la santé cérébrale. La coalition pour l’économie du cerveau est une coalition internationale qui regroupe des scientifiques, des entreprises, des ONG, des organismes caritatifs à but non lucratif et des responsables des politiques.

Permettez-moi de vous donner un peu de contexte. L’économie du cerveau, ou économie de la santé cérébrale, se définit par les troubles de la santé cérébrale, qui englobent la santé mentale, les maladies mentales, la toxicomanie et les troubles neurologiques. Le Canada occupe une position de leadership et a une place importante et de plus en plus influente dans l’économie du cerveau.

Le Canada a également sa propre crise à résoudre. Lors de mon allocution samedi, j’ai souligné que, dans le gouvernement actuel et au Sénat, nous devons prendre des mesures audacieuses, et sans tarder, pour améliorer l’abordabilité, renforcer notre économie, ainsi que favoriser le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre entre les provinces, entre autres choses. Ce sont là des tâches essentielles qui nous attendent. Cependant, si le Canada et les autres pays du G7 aspirent à un leadership économique et à une croissance plus vigoureuse — et j’oserais même dire à plus de bonheur et de bien-être —, nous devons également, sinon en priorité, avoir des visées et faire preuve de leadership dans le domaine de l’économie du cerveau.

Nous devons commencer par ceux qui seront les moteurs de notre avenir : les jeunes. Depuis mars 2020, les jeunes Canadiens — âgés de 5 à 28 ans — se sont adressés à Jeunesse, J’écoute plus de 22,5 millions de fois. Leur besoin d’aide est plus criant que jamais. En effet, le suicide est la deuxième cause de décès en importance parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans. C’est une dure réalité. Le Canada se classe au cinquième rang des pays industrialisés pour le taux de suicide chez les jeunes. C’est un fait.

Le nombre de jeunes de moins de 13 ans faisant appel à Jeunesse, J’écoute à cause d’idées suicidaires a doublé au cours des quatre dernières années. Il est reconnu que 70 % des problèmes de santé mentale chez les adultes ont commencé dans leur jeunesse ou sont attribuables à quelque chose qui s’est produit durant cette période. Leurs effets se font maintenant sentir sur notre productivité économique et notre bien-être. L’équité est une aspiration, et non une réalité, surtout dans le domaine de la santé mentale.

C’est pour toutes ces raisons que l’économie du cerveau doit assurément être l’une des principales priorités de tous les dirigeants du G7. Nous avons besoin d’une stratégie audacieuse et réalisable, ainsi que d’investissements concrets assortis d’une obligation de rendre des comptes, car chaque jour de retard se traduit par une perte de talents, de productivité, de croissance économique et de vies.

Ce que je sais, c’est qu’il n’y a pas de santé sans santé mentale. Ce que je sais également, c’est qu’il n’y a pas d’économie durable et saine sans une économie du cerveau florissante et saine. Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

Le décès de Brian Wilson

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à une figure emblématique de l’histoire de la musique : Brian Wilson. En tant que membre fondateur des Beach Boys, Brian Wilson, fort de son génie, a façonné non seulement le son d’une génération, mais aussi la structure même de la musique populaire.

Né en 1942 en Californie, Brian Wilson a très tôt révélé son talent pour les mélodies, les harmonies et l’innovation. Avec ses frères Carl et Dennis, leur cousin Mike Love et leur ami Al Jardine, il a formé le groupe The Beach Boys, qui a incarné les rêves, l’optimisme et les luttes des États-Unis d’après-guerre dans les années 1960.

Cela dit, Brian Wilson était bien plus qu’un simple auteur-compositeur de morceaux entraînants sur le surf : c’était un visionnaire. Son travail novateur sur des albums tels que Pet Sounds a redéfini les limites de la musique populaire. Avec leurs harmonies complexes, leurs arrangements recherchés et leur profondeur émotionnelle, les compositions de Brian Wilson reflétaient les espoirs, les angoisses et la complexité de la vie. Pet Sounds, en particulier, a été salué comme l’un des albums les plus influents de tous les temps, inspirant des artistes tels que les Beatles jusqu’à des musiciens contemporains.

Ce qui rend l’histoire de Brian Wilson particulièrement poignante, c’est que son extraordinaire créativité allait souvent de pair avec des difficultés personnelles. Il a dû faire face à d’importants problèmes de santé mentale. Malgré tout, il a continué à composer de la musique qui a apporté joie, réconfort et inspiration à des millions de personnes.

(1850)

Honorables sénateurs, la valeur du legs de Brian Wilson se mesure non seulement au nombre de disques qu’il a vendus ou de prix qu’il a remportés, mais aussi par le fait que sa musique nous rappelle notre humanité commune, avec ses hauts et ses bas, sa lumière et ses zones d’ombre. Son œuvre continue de rassembler des générations partout dans le monde en transcendant le temps et l’espace.

Aujourd’hui, rendons hommage à Brian Wilson, non seulement parce qu’il était un génie de la musique, mais aussi parce qu’il symbolise la force de la résilience et la créativité tout en étant la preuve éclatante que l’art transcende le temps.

Merci, meegwetch.

[Français]

L’écrasement de l’avion-école Avro Anson V

L’honorable Réjean Aucoin : Honorables sénateurs, le mois dernier, j’ai assisté à l’Assemblée plénière de ParlAmericas, qui s’est tenue en Uruguay.

L’Amérique du Sud, tout comme le Canada, est confrontée aux mêmes défis et aux mêmes enjeux que nous vivons : le vieillissement de la population et la cybersécurité.

En plus des conférences auxquelles j’ai assisté, j’ai visité le musée commémorant l’écrasement du vol 571 dans les Andes, le 13 octobre 1972. Je rappelle que 14 des 40 survivants ont passé 72 jours dans des conditions de froid extrême.

Cette tragédie m’amène à vous parler de l’écrasement de l’avion-école Avro Anson V.

Celui-ci est parti de la base militaire de Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard, le 6 août 1944, en pleine Seconde Guerre mondiale. L’équipage était composé de quatre jeunes militaires : le pilote W. A. J. Bennett, qui est décédé, les navigateurs J. R. Ogilvie et W. J. Antle, ainsi que l’opérateur radio J. R. Burke.

L’accident avait été causé entre autres par un brouillard dense et une mauvaise communication entre l’équipage et le pilote. L’avion avait dévié de sa trajectoire de 20 degrés à cause d’une boussole défectueuse.

C’est en tentant de descendre sous les nuages que l’avion a percuté la crête des Hautes-Terres du Cap-Breton, près de Chéticamp. L’opération de sauvetage a commencé le soir même. Une équipe de militaires et des gens de Chéticamp ont alors monté une expédition pour récupérer le corps du pilote décédé.

Des objets provenant de l’avion, comme la boussole et le siège du pilote, ont été récupérés et conservés localement pendant que l’on récupérait les vestiges de l’avion. Comme on était alors en guerre, on a très peu parlé de cette histoire dans le village et l’avion est tombé dans l’oubli.

Ce n’est que tout récemment, donc 80 ans plus tard, que des recherches ont permis de retrouver les descendants du sergent Burke en Ontario et du navigateur Ogilvie à New York.

Après mon appel, la fille du sergent Burke, qui n’avait aucune connaissance de cet événement, a retrouvé le télégramme de 1944 adressé à sa mère qui disait ce qui suit :

[Traduction]

CANADIAN NATIONAL TELEGRAM

SUMMERSIDE I P E 21 H 8 AOÛT

MME MARJORIE A BURKE

C P 235 WALLACEBURG ON

ACCIDENT D AVION À CHÉTICAMP CAP BRETON HEUREUSEMENT VOTRE FILS SGT J R BURKE SAIN ET SAUF.

[Français]

Le 2 août prochain, une cérémonie se tiendra près du lieu de l’écrasement afin de dévoiler deux plaques commémoratives.

Si vous vous trouvez dans ma région dans l’avenir, je vous invite à vous y arrêter pour en apprendre davantage sur cet événement tragique. Par contre, ne le faites pas tous en même temps, s’il vous plaît, parce que j’aimerais vous accueillir comme il se doit. Merci. Meegwetch.

[Traduction]

Le décès de l’honorable Marc Garneau, c.p., C.C.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, au nom du Groupe des sénateurs indépendants, je tiens à rendre hommage au regretté Marc Garneau, qui a rendu l’âme le 4 juin 2025. La plupart d’entre nous se souviennent de M. Garneau comme d’un as de la haute voltige, au propre comme au figuré. Il a occupé des postes où il était inévitablement sous les feux des projecteurs, en particulier en tant qu’astronaute et en tant que politicien. Il assumait sa célébrité discrètement, pour ne pas dire timidement, mais il avait aussi conscience du pouvoir de la notoriété lorsqu’il s’agit de motiver les gens et de susciter des changements positifs.

M. Garneau savait également passer sous le radar, pour ainsi dire. Il a été ministre des Affaires étrangères pendant une courte période seulement, de janvier à octobre 2021, et je sais qu’il était déçu de ne pas avoir eu l’occasion d’en faire plus avec ce portefeuille, qui le passionnait vraiment. En peu de temps, il a accompli plus de choses que ce que beaucoup lui reconnaissent, et obtenir la libération des deux Michael, qui étaient détenus depuis près de trois ans en Chine, n’a pas été la moindre. Il y est parvenu en misant sur une diplomatie patiente et pragmatique, en faisant preuve d’une attention et d’une empathie particulières pour les familles de Michael Kovrig et de Michael Spavor.

On aurait pu penser que le fait de travailler à la libération des deux Michael aurait transformé M. Garneau en un faucon par rapport à la Chine, mais il était pragmatique en matière de politique étrangère et il préconisait ce qu’il appelait les « quatre C » des relations entre le Canada et la Chine, à savoir la coexistence, la concurrence, la collaboration et la contestation, si les circonstances l’exigeaient. Compte tenu de l’état actuel du monde, une approche axée sur les quatre C semble appropriée pour nos relations non seulement avec la Chine, mais aussi une foule d’autres grandes puissances.

Après son retour sur les banquettes arrière de l’autre endroit, je l’ai recruté pour qu’il se joigne à un groupe de parlementaires lors de deux visites en Corée du Sud afin de discuter de paix et de sécurité dans la péninsule coréenne. À bien des égards, il était notre carte de visite auprès des hauts fonctionnaires du gouvernement coréen et du milieu universitaire.

Avant une rencontre avec Ban Ki-moon, la délégation canadienne était excitée à l’idée de rencontrer l’ancien secrétaire général des Nations unies, mais il s’est avéré que M. Ban était tout aussi enthousiaste à l’idée de rencontrer M. Garneau. Après ces visites, M. Garneau a rapidement pris le pli et, il y a deux ans, il est devenu coprésident du forum Canada-Corée, une tribune non officielle de haut niveau où les dirigeants canadiens et coréens peuvent échanger des points de vue sur des questions bilatérales. M. Garneau a été l’hôte de la réunion de 2024 à Montréal. Il était particulièrement fier d’amener le forum dans sa ville natale pour la première fois.

M. Garneau a vécu sa vie la tête au-delà des nuages et les pieds fermement ancrés sur terre. C’est la raison qui explique pourquoi, honorables sénateurs, cet homme était un géant parmi nous et qu’il manquera tant aux Canadiens. Au nom du Groupe des sénateurs indépendants, j’adresse mes sincères condoléances à sa famille.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

La justice

L’Énoncé concernant la Charte en ce qui a trait au projet de loi S-2—Dépôt de document

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, l’Énoncé concernant la Charte préparé par le ministre de la Justice ayant trait au projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription), conformément à la Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. 1985, ch. J-2, par. 4.2(1).

[Français]

Le Sénat

Adoption de la motion concernant les délibérations du 17 juin 2025 pour rendre hommage à l’honorable Marie-Françoise Mégie

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5k) du Règlement, je propose :

Que, le 17 juin 2025, à 18 heures ou à la fin des délibérations du comité plénier sur la teneur du projet de loi C-5, selon la dernière éventualité, les délibérations en cours soient interrompues pour des hommages à l’honorable sénatrice Mégie.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est maintenant 19 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, heure où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : D’accord.


(1900)

[Traduction]

ORDRE DU JOUR

La Loi sur les Indiens

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Audette, appuyée par l’honorable sénateur Francis, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription).

L’honorable David M. Arnot : Honorables sénateurs, il y a plus d’un siècle, Duncan Campbell Scott, qui était surintendant adjoint au ministère des Affaires indiennes, a pris la parole au Parlement du Canada et a déclaré :

Je veux me débarrasser du problème autochtone. Je ne crois pas, justement, que ce pays doive continuer à protéger une classe de personnes parfaitement capables de se prendre en charge. Voilà tout l’objet de mon propos [...]

Notre objectif est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Autochtone au Canada qui n’ait pas été assimilé dans le corps politique, qu’il n’y ait plus de question autochtone ni de ministère des Affaires indiennes. Voilà l’objectif du projet de loi.

J’ai répété, dans mes propres mots, les paroles de Scott des centaines de fois, dans des discours et des présentations sur les traités au Canada et les relations qui en sont issues. Je peux affirmer que cette citation n’est pas un vestige du passé. Elle demeure gravée dans l’architecture juridique et administrative qui régit la vie des Autochtones au Canada.

De nos jours, les propos cités nous rebutent, mais leur intention n’a pas été complètement bannie. Sous le couvert du progrès, la Loi sur les Indiens continue de promouvoir une vision assimilationniste, non pas à l’aide d’instruments grossiers, mais au moyen d’exclusions procédurales, de formules d’enregistrement et d’inégalités héritées qui punissent les familles pour les choix et les circonstances de leurs ancêtres.

Ce discours nous semble choquant aujourd’hui, mais cette façon de penser est toujours présente, comme en témoigne non seulement la discrimination qui affecte encore les peuples autochtones de ce pays au quotidien, mais aussi le cadre législatif qui détermine encore leur identité, leur appartenance et l’avenir de leurs enfants.

C’est dans ce contexte que nous devons évaluer le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription). C’est dans ce contexte que nous devons déterminer si nous allons enfin renoncer au contrôle colonial ou simplement l’assouplir.

Aujourd’hui, nous débattons du projet de loi S-2, qui propose des modifications limitées à la Loi sur les Indiens. J’appuie ce projet de loi, mais je le fais non pas avec joie, mais avec un profond sens des responsabilités, car même si le projet de loi S-2 vise à remédier à certains préjudices, il laisse encore beaucoup trop de problèmes sans solution.

La Loi sur les Indiens demeure un outil d’exclusion. Soyons clairs : la Loi sur les Indiens est encore une loi coloniale conçue non pas pour affirmer des droits, mais pour administrer l’assimilation. Bien que des modifications aient été apportées au fil des ans — en 1985, en 2011, en 2017 et aujourd’hui avec le projet de loi S-2 —, la loi conserve sa politique de gouvernement colonialiste qui visait, selon les termes de Scott, à « se débarrasser du problème des Indiens ». Elle impose une discrimination fondée sur le sexe, car les femmes autochtones et leur descendance sont encore pénalisées en matière d’admissibilité à l’inscription. Cette loi a créé un système de statut à deux niveaux par le biais des paragraphes 6(1) et 6(2), en inscrivant l’extinction de l’identité après deux générations dans la loi. La règle d’inadmissibilité de la seconde génération est une formule bureaucratique d’extinction qui refuse le statut aux petits-enfants si leurs deux parents n’ont eux-mêmes qu’un seul parent ayant le statut d’Indien.

La loi continue de lier l’identité à la lignée masculine et déclare que les enfants nés hors mariage ou sans reconnaissance de paternité n’ont aucun statut. Ces obstacles injustes liés à la filiation touchent de manière disproportionnée les femmes, en particulier celles qui ont survécu à des actes de violence.

Tout aussi controversée, la loi maintient le contrôle fédéral sur l’appartenance à une bande, ce qui constitue un déni persistant de l’autodétermination des Autochtones.

Il y a eu des modifications apportées en 1985, en 2011 avec le projet de loi C-3 et en 2017 avec le projet de loi S-3. Malgré tout, chaque réforme a été motivée non pas par la bonne volonté du gouvernement fédéral, mais par des poursuites judiciaires et des contestations fondées sur la Charte, que des femmes et des familles autochtones courageuses ont intentées pour tenir tête à l’État — des femmes comme Sharon McIvor, Lynn Gehl et Mary Two-Axe Earley — et non grâce à une initiative généreuse de l’État.

À chaque modification, le gouvernement a adopté des solutions partielles, vraisemblablement à contrecœur et, en fin de compte, insuffisantes.

Le projet de loi S-2 est la réponse législative du gouvernement fédéral à l’affaire Nicholas c. Canada (Procureur général), dans laquelle la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que la Loi sur les Indiens continuait d’être discriminatoire en excluant les descendants de personnes qui avaient été émancipées contre leur gré. Autrement dit, elles ont perdu leur statut d’« Indien » au titre de la Loi sur les Indiens.

Le projet de loi S-2 rétablit les droits à l’inscription pour les personnes dont les ancêtres ont perdu leur statut en raison de l’émancipation, il permet aux personnes retirées de leur bande d’origine de s’affilier à une autre bande, il prévoit un mécanisme de radiation volontaire et il met à jour des termes désuets et déshumanisants, comme « indiens mentalement incapables », qui est remplacé par « personne dépendante ».

Le projet de loi représente également un moment rare : il est marrainé et présenté par une sénatrice autochtone, la sénatrice Audette, que je respecte profondément pour son leadership et à qui je reviendrai dans un instant.

Qu’est-ce que le projet de loi S-2 ne fait pas?

Malgré ses mérites, le projet de loi S-2 ne corrige pas plusieurs injustices fondamentales. La règle d’inadmissibilité de la seconde génération reste en vigueur. Au titre du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, un enfant né de deux parents inscrits en vertu du paragraphe 6(2), qui n’ont qu’un seul parent ayant le statut d’Indien, n’a pas droit au statut d’Indien. Cette règle, qui existe depuis 1985, signifie que le statut prend fin au bout de deux générations. Il s’agit d’une loi d’extinction qui pénalise les familles pour s’être mariées entre elles et qui prive les enfants de leur identité légitime. Elle conduit à l’effacement statistique de lignées familiales entières, même si les gens conservent de forts liens culturels, communautaires et ancestraux.

Le gouvernement reconnaît l’urgence de cette question. Elle a été classée au premier rang des préoccupations dans le processus de collaboration de 2019, et, pourtant, on nous dit qu’une solution législative ne sera probablement pas proposée avant l’automne 2026. C’est prometteur, mais c’est aussi trop peu, trop tard. Les effets néfastes de cette privation d’identité persistent depuis plus de quatre décennies. Pour un grand nombre de personnes, en particulier celles dont les grands-parents ont retrouvé leur statut grâce aux projets de loi C-3 ou S-3, ce retard fera la différence entre être reconnu par la loi ou voir son identité effacée.

Le système à deux niveaux — causé par l’opposition entre le paragraphe 6(1) et le paragraphe 6(2) — demeure en vigueur. Ce système continue d’accorder un statut inférieur en raison de la discrimination historique fondée sur le sexe. Les femmes qui ont recouvré leur statut en vertu du projet de loi C-3 ou du projet de loi S-3 se voient souvent accorder le statut prévu au paragraphe 6(2), limitant ainsi les droits de leurs enfants, ce qui n’est pas du tout le cas pour les hommes parce qu’ils n’ont jamais perdu leur statut.

Les inégalités générationnelles persistent, en particulier à l’égard des lignées matrilinéaires. Comme l’a souligné la sénatrice Audette, les mères, en particulier celles qui ont survécu à des violences sexuelles, sont toujours tenues de nommer le père de leur enfant afin de remplir une demande d’obtention du statut. Cette exigence est discriminatoire, préjudiciable et susceptible de causer un autre traumatisme.

Le contrôle de l’appartenance à une bande relève encore aujourd’hui du gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral conserve son autorité sur les listes de bande, à moins qu’une Première Nation n’ait élaboré un code d’appartenance coutumier en vertu de l’article 10 de la loi. Cela signifie que, pour de nombreuses communautés, c’est toujours le Canada qui décide qui appartient à une bande et qui a le statut d’« Indien » au sens de la loi. Compte tenu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, c’est totalement inacceptable.

La consultation a été insuffisante. La sénatrice Audette s’est dite insatisfaite, ce qui résume bien la situation. Une véritable consultation doit être transparente, inclusive et responsable. Le gouvernement a certes amélioré considérablement son processus de consultation depuis 2018-2019. Des séances dirigées par les communautés ont été financées, des documents de sensibilisation ont été créés, traduits et diffusés à grande échelle, et des séances d’information ont été organisées. Ajoutons aussi que des organisations autochtones ont collaboré à l’élaboration du processus de consultation. Cela dit, comme la sénatrice Martin l’a demandé à juste titre, si la consultation est toujours en cours, comment peut-elle guider adéquatement le projet de loi qui nous est déjà soumis?

(1910)

Pourquoi soutenir ce projet de loi? La sénatrice Audette le soutient parce qu’elle sait que l’affaire Nicholas c. Canada (Procureur général) est actuellement suspendue en Colombie-Britannique. Si nous retardons le projet de loi afin d’y apporter des améliorations, les personnes concernées en Colombie-Britannique seront touchées, tandis que d’autres aux quatre coins du pays pourraient devoir intenter de nouveaux procès province par province, ce qui serait un processus coûteux et éprouvant sur le plan émotionnel.

La sénatrice Audette nous rappelle également que ce projet de loi ne règle pas le fond du problème. Elle a demandé la suppression des paragraphes 6(1) et 6(2), elle s’est opposée à l’obligation de déclarer le père dans les demandes d’enregistrement, elle a remis en question le maintien du pouvoir discrétionnaire des registraires, elle a critiqué la qualité et la transparence de la consultation et elle nous a prévenus que si nous n’en faisons pas davantage, nous continuerons d’inscrire la discrimination dans la loi sous le couvert de la réforme.

Les préoccupations de la sénatrice Audette reflètent les miennes. Je crois qu’elles reflètent aussi celles de bon nombre d’entre nous au Sénat. Nous ne nions pas les effets positifs de ce projet de loi — nous reconnaissons qu’il en a. La vraie question est la suivante : est-ce suffisant? Si ce n’est pas le cas, sommes-nous prêts à aller plus loin? Si nous acceptons l’exclusion après la deuxième génération, nous acceptons délibérément l’extinction de l’identité par voie législative. Si nous maintenons le contrôle d’Ottawa sur l’appartenance à une bande, nous refusons aux Premières Nations le droit de déterminer qui sont leurs citoyens. Si nous maintenons les règles de déclaration du père, nous plaçons la bureaucratie au-dessus de la dignité.

Disons-le clairement : même réformée, la Loi sur les Indiens n’est pas une loi qui affirme les droits. Il s’agit d’un vestige administratif d’un régime colonial qui continue pourtant de régir la vie, le statut, l’appartenance et l’accès aux droits issus de traités de nombreux Autochtones canadiens. Si nous voulons vraiment la réconciliation, le gouvernement fédéral doit, premièrement, élaborer conjointement un nouveau cadre fondé sur le consentement pour déterminer l’appartenance et le statut; deuxièmement, abolir les critères d’inscription discriminatoires, y compris le régime à deux volets qui exclut les membres de la deuxième génération; troisièmement, respecter le droit des Autochtones de définir leur identité selon leurs propres critères, dans leurs propres lois; et quatrièmement, respecter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, non seulement en principe, mais aussi en droit.

Chers collègues, je voterai en faveur du projet de loi S-2, non pas parce qu’il est parfait, mais parce que les mesures qu’il contient doivent être déployées de toute urgence. On ne peut demander à des personnes qui ont attendu toute leur vie pour retrouver leur identité de patienter encore pendant que nous peaufinons le processus.

Cependant, nous leur devons plus que ce projet de loi. Son adoption doit s’accompagner d’un engagement public et parlementaire à achever le travail visant à supprimer la date limite, à rétablir le contrôle des Autochtones sur leur identité et à garantir que personne ne soit à nouveau exclu du cercle parce qu’une loi adoptée en 1985 a décidé qu’il devait en être ainsi.

Que ce soit bien clair : ce vote n’est pas le mot de la fin. Il faut que le projet de loi S-2 soit le point de départ, pas le point d’arrivée — le commencement, pas la conclusion. C’est une promesse faite à ceux qui ont été privés de leurs droits contre leur gré, à ceux qui ont été dépouillés de leur identité et aux petits-enfants qui continueront de porter le fardeau de la privation des droits de leurs grands-mères. Nous ne nous arrêterons pas là.

Je souhaite que le Sénat décide aujourd’hui non seulement d’appuyer ce projet de loi, mais aussi de mener à bien le travail qui a été entrepris et qui est exigé par la justice, l’équité, l’égalité et la réconciliation. Merci. Kinanâskomitinawow.

L’honorable Marilou McPhedran : Sénateur Arnot, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Arnot : Oui.

La sénatrice McPhedran : Il est intéressant que vous présentiez le projet de loi S-2 comme un point de départ alors que, en réalité, la dernière fois que le gouvernement du Canada s’est penché sur cette question, c’était à l’époque du projet de loi S-3, qui avait également été présenté par le Sénat. Ceux d’entre nous qui ont travaillé sur le projet de loi S-3 à l’époque, principalement grâce aux efforts de l’ancien sénateur Sinclair et de l’ancienne sénatrice Dyck, étaient sincèrement convaincus d’avoir trouvé une solution globale à cette question.

L’histoire a prouvé que ce n’était pas le cas. Nous vous avons écouté parler du projet de loi S-2, qui, nous le savons, ne règle pas la question de la perte d’identité que nous pensions avoir réglée par le projet de loi S-3. Combien de temps pensez-vous qu’il faudra pour régler cette question de manière équitable et juste, comme elle le mérite, si nous n’essayons pas de modifier le projet de loi S-2?

Son Honneur la Présidente : Sénateur Arnot, je veux mentionner que votre temps de parole est presque écoulé. Demandez-vous plus de temps pour répondre à la question?

Le sénateur Arnot : C’est une bonne question. Je ne devrais probablement pas demander plus de temps pour y répondre, mais je vais le faire.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie de votre question, sénatrice. C’est effectivement un casse-tête. Je n’ai pas de réponse. C’est quelque chose de très préoccupant. C’est un problème qui existe depuis 40 ans, et il faut y remédier. Je crois que nous devons y consacrer corps et âme. Le projet de loi pourrait bien être amendé au comité; je ne sais pas. J’espère qu’il sera renvoyé au comité et qu’il sera un pas dans la bonne direction, si la situation n’est pas corrigée rapidement. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Boyer, appuyée par l’honorable sénatrice Boniface, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation).

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation). Je tiens à remercier la sénatrice Boyer d’avoir présenté ce projet de loi au début de la présente législature, la version précédente étant morte au Feuilleton lorsque la 44e législature a été prorogée au début de janvier.

Je tiens également à remercier la sénatrice Boyer pour le discours très détaillé et émouvant qu’elle a prononcé la semaine dernière. Ce n’est pas le premier qu’elle prononce sur cette question, et je suis convaincu que ce ne sera pas le dernier. Je n’entrerai pas autant dans les détails, car la sénatrice Boyer a amplement expliqué le contenu de ce projet de loi présenté de nouveau ainsi que l’ampleur du problème qu’il cherche à résoudre.

Honorables sénateurs, ce projet de loi est peut-être nouveau, mais la question qu’il aborde est examinée par le Sénat depuis un certain temps. En fait, le projet de loi répond à une recommandation du Comité sénatorial des droits de la personne, qui a mené deux études sur la question, l’une en 2019 et l’autre en 2022. Je siégeais au Comité des droits de la personne lorsqu’il a fait sa deuxième étude, en 2022. La première recommandation issue du rapport dit : « Qu’un projet de loi soit déposé afin d’ajouter une infraction relative à la stérilisation forcée et contrainte dans le Code criminel. »

La sénatrice Boyer, invoquant cette recommandation, a d’abord déposé son projet de loi en juin 2022, puis en a parlé à l’étape de la deuxième lecture au début de février 2023. Le projet de loi a été renvoyé au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles en avril 2023, qui a terminé son étude en septembre 2024 et en a fait rapport au Sénat le mois suivant. Le projet de loi a été adopté à l’étape de la troisième lecture et, le 8 octobre 2024, a été renvoyé à la Chambre des communes, qui n’a pas pu l’étudier avant la prorogation du Parlement.

(1920)

J’étais le porte-parole au sujet de la première mouture du projet de loi et je suis le porte-parole au sujet de celle dont nous sommes maintenant saisis. Je relate tout cela à titre d’information civique pour les nouveaux sénateurs qui sont arrivés ici au début de la présente législature. Comme chacun d’entre nous l’apprend après avoir passé quelque temps ici, vous apprendrez que les rouages du Parlement, tout comme ceux de la justice, peuvent tourner lentement.

Chers collègues, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais l’ouverture de la présente session parlementaire a coïncidé avec le début du tournoi de tennis de Roland-Garros à Paris. Ceux qui ont suivi cet événement ont pu voir le slogan inscrit en grosses lettres sur le mur du stade principal : « La victoire appartient au plus opiniâtre ». Je mentionne cela parce que cela m’a rappelé la sénatrice Boyer qui, au cours des 10 dernières années, s’est attaquée sans relâche et avec détermination à la question de la stérilisation forcée ou contrainte — 10 longues années.

J’ai déjà parlé de ses efforts héroïques à l’étape de la deuxième et de la troisième lecture du projet de loi S-250, la version initiale de cette mesure législative à la législature précédente. Bien sûr, ses efforts vont bien au-delà de cela et, en fait, bien au-delà de son mandat au Sénat. En tant qu’ancienne professionnelle de la santé, avocate et membre de la nation métisse, elle est tout à fait la personne idéale pour défendre cette cause et être la championne de ce mouvement. De plus, avant de se joindre au Sénat, elle était directrice du Centre de droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa. Que demander de plus à une championne?

Comme je l’ai mentionné, j’ai déjà prononcé des discours au sujet de ce projet de loi au cours de la dernière législature, à l’étape de la deuxième lecture et à celle de la troisième lecture, et j’ai été aussi frustré que tout le monde — enfin, presque tout le monde — lorsqu’il est mort au Feuilleton en janvier. Chers collègues, mon avis sur cette question vaut très peu par rapport à celui des victimes, mais je vais répéter certains des propos que j’ai tenus lors de mon intervention sur le projet de loi précédent. Je ne suis pas une autorité en la matière, mais, si vous êtes plus intéressés, je vous invite à revenir en arrière et à examiner les débats qui ont eu lieu sur la stérilisation forcée ou contrainte lorsque le projet de loi a été présenté pour la dernière fois, et peut-être à aller encore plus loin et à examiner les comptes rendus des délibérations du comité et les témoignages déchirants des survivantes que nous avons entendues dans le cadre de l’étude du projet de loi, certaines apparaissant en silhouette et sous des pseudonymes. J’ai déjà côtoyé le courage et la bravoure, mais jamais autant que pendant ces témoignages.

La première chose que je dois mentionner, c’est que, quand j’ai pris connaissance de ce dossier, j’étais persuadé que cette pratique appartenait au passé et que le comité jetait un coup d’œil en arrière, comme l’a fait remarquer la sénatrice Boyer dans son discours à l’étape de la deuxième lecture la semaine dernière, et que cette pratique n’avait plus cours aujourd’hui. J’avais tort. Des cas ont été signalés pas plus tard que cette année, comme nous l’avons entendu.

Il y a eu plus de 12 000 cas en tout, et personne n’a été déclaré coupable d’un crime, et encore moins accusé d’un crime. Pourtant, certains témoins qui estimaient que ce projet de loi serait redondant nous ont dit qu’il y a déjà des dispositions législatives à l’égard de ces crimes — notamment l’article 265 du Code criminel, qui porte sur les voies de fait, l’article 267, qui porte sur les voies de fait causant des lésions corporelles, et l’article 268, qui porte sur les voies de fait graves —, et que toutes ces dispositions peuvent s’appliquer à une intervention médicale effectuée sans le consentement éclairé du patient.

Depuis 1997, le Code criminel comprend des dispositions contre la mutilation génitale, ce qui pourrait inclure la stérilisation forcée, mais aucune accusation n’a encore été portée.

À quoi bon adopter d’autres dispositions législatives si aucune des dispositions déjà en place n’a été appliquée? Eh bien, en tant que porte-parole dans ce dossier, je vais appuyer ce projet de loi en me fondant sur le même argument que j’ai présenté au sujet du projet de loi S-250. Voici ce que j’ai dit dans mon discours précédent :

[...] la criminalisation de la pratique envoie un message clair selon lequel le gouvernement reconnaît que la stérilisation forcée viole les droits de la personne et qu’elle ne doit en aucun cas être tolérée. La menace de poursuites pénales aurait également un effet dissuasif sur les prestataires de soins de santé et les établissements qui pourraient envisager de recourir à de telles pratiques [...] sachant qu’il y a des conséquences juridiques explicites et sérieuses. Pour ceux qui posent les gestes eux-mêmes, la criminalisation permettra de tenir les contrevenants responsables de leurs actes.

Les victimes d’hier et d’aujourd’hui y trouveront également un certain réconfort, car elles sauront que leur voix a été entendue. C’est déjà quelque chose.

Honorables sénateurs, lorsque j’ai parlé du projet de loi S-250 en troisième lecture, il avait été amendé et amélioré. Je pense que les projets de loi comme celui qui nous est présenté aujourd’hui et son prédécesseur posent un danger parce qu’ils sont imprégnés d’émotion et du poids des vies qui ont été touchées. Il est question d’une situation déchirante et nous y réagissons avec émotion. C’est tout à fait justifié, mais nos émotions peuvent finir par nous emporter. Laisser une telle chose se produire au Sénat — surtout au Sénat —, c’est abdiquer notre responsabilité. N’oublions pas que nous avons pour rôle d’apporter des réflexions posées, de faire preuve de sang-froid, de faire passer la raison avant l’émotion.

C’est exactement ce qui s’est passé pour le projet de loi amendé. La sénatrice Batters, notre collègue de la Saskatchewan, a été la première à soulever, en comité, les raisons pour lesquelles les dispositions du Code criminel relatives aux agressions n’étaient pas suffisantes, ce qui a conduit le comité à discuter des protections qu’offre l’article 45 du Code criminel, puis la sénatrice Boyer à apporter un amendement à son propre projet de loi pour y inclure les protections en question. Soulignons que les questions approfondies posées par le sénateur Dalphond ont beaucoup apporté à ce travail.

Honorables sénateurs, j’avais appuyé le projet de loi sans amendement, car je considérais qu’il s’agissait d’une mesure nécessaire pour commencer à corriger un tort grave. J’appuie le projet de loi amendé, qui, à mon avis, est tout aussi efficace, mais qui évite également de faire ce contre quoi j’avais fait une mise en garde ici même : une mesure législative bien intentionnée entraînant des conséquences imprévues et indésirables.

Les conséquences sont parfois inévitables, mais je suis convaincu que certaines de celles qui ont été évoquées au cours du débat de mardi peuvent être évitées dans ce projet de loi et qu’elles le seront. En tant que porte-parole, je prends ces préoccupations au sérieux et je tenais à m’assurer d’avoir examiné en profondeur les enjeux soulevés.

Après en avoir discuté avec la sénatrice Boyer et relu les témoignages des fonctionnaires du ministère que nous avons entendus lors de l’étude du projet de loi S-250 à la dernière législature, je suis convaincu que ce projet de loi n’aura pas les conséquences imprévues évoquées par certains sénateurs. Plus important encore, il aura les effets escomptés.

En ce qui concerne les aspects techniques, le paragraphe qui débute par « [i]l est entendu que » inclut clairement la stérilisation forcée dans les dispositions relatives aux voies de fait graves de l’article 268 du Code criminel. Comme nous le savons, dans les documents juridiques, l’expression « il est entendu que » sert à clarifier et à souligner des points précis afin d’éliminer toute ambiguïté ou tout malentendu quant à l’application ou à l’interprétation de la loi. L’alinéa proposé 268.1(1) utilise un libellé similaire à celui du paragraphe 268(1) et lie cet article au paragraphe 268(1), qui porte sur les voies de fait graves. Enfin, on décrit l’acte de stérilisation au paragraphe 268.1(2) proposé.

De plus, l’intention du Parlement quant au projet de loi est bien documentée, et un procureur de la Couronne qui envisage de porter des accusations serait tenu de s’y conformer pour déterminer s’il y a lieu d’en porter.

Le projet de loi est clair : l’article 45 du Code criminel protège un fournisseur de soins médicaux qui, lors d’une opération chirurgicale planifiée ou d’urgence, stérilise une personne par inadvertance ou parce qu’il doit intervenir en raison d’un risque divulgué au préalable, lorsque c’est possible. Le projet de loi vise clairement la stérilisation forcée, de sorte que cela n’aura pas d’incidence sur les libertés génésiques pour les personnes qui souhaitent être stérilisées, c’est-à-dire de façon volontaire. L’intention du Parlement a toujours été et demeure claire sur cette question importante.

Je tiens à remercier tous les membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles du travail exemplaire qu’ils ont accompli lors de la dernière législature dans le cadre de l’étude sur cette question. Je félicite également mes collègues de l’ancien Comité des droits de la personne pour les études qu’ils ont menées précédemment. Ils ont mené des études approfondies et exhaustives. Compte tenu de ces travaux et de la souplesse dont a fait preuve la sénatrice Boyer, qui a amendé le projet de loi, puis qui l’a présenté de nouveau au Sénat, j’espère que nous pourrons faire franchir rapidement les étapes nécessaires au projet de loi S-228 au cours de la présente législature, puis le renvoyer à l’autre endroit dans les meilleurs délais.

Enfin, la sénatrice Boyer s’est faite la championne du projet de loi. Elle s’est également faite la championne de milliers de victimes de stérilisation forcée et contrainte — des milliers de personnes sans voix, des victimes et leurs partenaires —, car sans elle, ce projet de loi n’aurait jamais vu le jour. Merci, sénatrice Boyer. Vous y êtes presque. Merci, chers collègues.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

(1930)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Boyer, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Pamela Wallin propose que le projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je demande votre indulgence, car je sais que beaucoup d’entre vous m’ont entendue parler de la question des demandes anticipées à maintes reprises au cours de la dernière décennie. Toutefois, nous avons de nombreux nouveaux collègues, alors permettez-moi d’aborder quelques points. Une demande anticipée est une entente, habituellement présentée par écrit, pour demander l’aide médicale à mourir même si notre mort n’est pas imminente ou dans l’éventualité où nous pourrions perdre la capacité de donner notre consentement dans nos derniers jours.

J’ai été reconnaissante lorsque le Sénat a approuvé et a adopté un amendement demandant l’ajout des demandes anticipées et j’ai été, toutefois, profondément déçue lorsque le gouvernement en place a rejeté nos conseils bien réfléchis, appuyés par les sénateurs de tous les groupes.

Je présente de nouveau ce projet de loi dans sa forme originale pour gagner du temps et parce que les comités ont fait un certain travail à ce sujet au cours des 10 dernières années, mais j’ajoute un préambule reconnaissant la nouvelle loi adoptée par la province de Québec, qui, je l’espère, servira d’orientation. Sur les conseils de nos légistes, ce préambule permettra au comité de faire référence à la nouvelle loi dans le cadre de son étude du projet de loi et de ses amendements.

Pour être claire, je cherche à obtenir des amendements, car il y a eu de nombreux développements juridiques importants au Canada.

Dans le préambule, on dit notamment que la loi québécoise va :

« [...] permet[tre] aux personnes atteintes d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins de formuler une demande anticipée d’aide médicale à mourir ».

Mon projet de loi précise ensuite — et je vais résumer — que nous modifierions le Code criminel de manière à permettre :

a) d’une part, à une personne dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible de conclure une entente par écrit en vue de recevoir l’aide médicale à mourir à une date déterminée si elle perd sa capacité à consentir à l’aide médicale à mourir avant cette date;

b) d’autre part, à une personne atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables peut faire une déclaration écrite pour renoncer à l’exigence du consentement final lorsqu’elle reçoit l’aide médicale à mourir si elle perd sa capacité à consentir à l’aide médicale à mourir, si elle est atteinte des symptômes énoncés dans la déclaration écrite et si toutes les autres mesures de sauvegarde pertinentes énoncées dans le Code criminel ont été respectées.

La mort et la fin de vie font partie intégrante de la vie. Pour le meilleur ou pour le pire, nous sommes la seule espèce consciente de l’inévitabilité de notre propre mort. Cela nous motive, nous aide à trouver un but dans la vie et rend chaque instant précieux et riche de sens. Si nous avons de la chance et si nous le souhaitons, cette connaissance nous prépare également à une fin de vie digne et nous aide à faire face à notre disparition avec grâce et compassion.

Nous vivons aussi dans une époque où nous pouvons raisonnablement prévoir la mort. La science nous permet de diagnostiquer avec une grande précision les maladies mortelles et de déceler les signes de déclin physique et cognitif. Cependant, dans la quête de la longévité, il faut toujours tenir compte de la qualité de vie.

Je crois que nous avons le droit et la responsabilité de prendre nos propres décisions concernant la fin de notre vie. C’est notre fardeau, notre corps et notre choix. J’en suis arrivée à cette conclusion après avoir vu mes deux parents mourir de deux façons très différentes, mais tout aussi tragiques : mon père d’un cancer douloureux, et ma mère, de la maladie d’Alzheimer. Leur souffrance était inutile et aurait pu être évitée. Le seul service qu’ils tenaient à ce qu’on leur rende, c’est de les laisser quitter ce monde avec dignité, de leur épargner les souffrances et les humiliations. Malheureusement, mon père n’avait pas accès à l’aide médicale à mourir, puisqu’il habitait dans une région rurale de la Saskatchewan. Quant à ma mère, la loi ne l’autorisait même pas à en faire la demande.

Ce sont des questions difficiles pour les familles. J’ai eu la chance de grandir dans une famille où l’on discutait de manière pragmatique et honnête presque tous les soirs à table. Quand mon père a dû subir une intervention complexe à cœur ouvert et une transplantation aortique, il a reçu d’excellents soins, il a survécu à une longue intervention chirurgicale et il a vécu encore 10 ans en relativement bonne santé avant que le cancer ne le rattrape. Ce qui m’a frappée, c’est la facilité avec laquelle les intervenants de l’hôpital et mon père ont parlé de l’ordonnance de non-réanimation, qui doit être signée avant l’intervention chirurgicale. Mon père avait été très clair : « Si je ne peux plus marcher, parler, chasser ou penser, la vie n’a aucun sens. » Il accordait plus d’importance à la qualité de la vie qu’à sa durée.

Notre société accepte les ordonnances de non-réanimation et les mandats en cas d’incapacité pour le réconfort qu’ils apportent. Si vous subissez une intervention chirurgicale potentiellement mortelle ou si vous souhaitez exprimer votre volonté de ne pas subir de mesures extraordinaires pour vous maintenir en vie dans un état végétatif en cas d’accident, c’est à cela que servent ces documents. Pour moi, les demandes anticipées font simplement partie de ce continuum.

Permettez-moi de vous donner un peu plus de contexte. En 2016, quand le gouvernement a présenté le projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir), en réponse à une décision de la Cour suprême dans l’affaire Carter, il s’agissait d’accorder aux Canadiens le droit de prendre leurs propres décisions en fin de vie.

Le gouvernement a mis en place — tout comme nous l’avons fait au Sénat — une série de mesures de sauvegarde afin d’éviter toute dérive en matière d’accès à l’aide médicale à mourir et de donner plus de temps aux experts pour réfléchir à la complexité éthique de ces questions.

La principale inquiétude était que l’aide à mourir en vienne à remplacer les services et le soutien essentiels aux personnes sous-représentées ou aux patients réticents ou encore aux personnes qui auraient pu être traitées ou soignées si elles n’avaient pas été victimes d’un système injuste. Nous ne pouvons sous-estimer l’importance de ces préoccupations.

J’ai siégé pendant plusieurs années au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir afin d’étudier ces préoccupations. L’aide médicale à mourir n’est pas une alternative à la pauvreté, aux traitements, au soutien ou à la famille. Elle doit toujours être un choix. Afin de protéger les praticiens, des mesures de sauvegarde ont été mises en place pour veiller à ce que les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir soient tenues de déclarer, littéralement, juste avant leur mort médicalement assistée, qu’elles sont certaines de leur volonté de mourir. Dans la loi, cela s’appelle la renonciation au consentement final.

L’idée était d’éviter toute erreur administrative et de garantir que le patient, son médecin, sa famille et ses proches puissent être absolument certains que la personne qui a reçu l’aide médicale à mourir était réellement prête à mourir. Cependant, au lieu de faciliter les choses, cette mesure a, dans les faits, créé davantage d’ambiguïté pour les patients.

Des personnes admissibles à l’aide médicale à mourir se sont retrouvées dans une situation kafkaïenne tragique où, par exemple, en raison du stade avancé de leur cancer et de son inévitable progression, elles ne pourraient pas donner leur consentement final à haute voix. Par conséquent, elles ont dû mettre fin à leurs jours prématurément, bien avant l’heure, uniquement parce qu’elles risquaient de ne plus être physiquement capables de donner leur consentement à un stade avancé et douloureux de leur maladie.

C’est exactement ce qui est arrivé à Audrey Parker, une Néo-Écossaise de 57 ans atteinte d’un cancer du sein de stade 4. Elle a dû mettre fin à ses jours deux mois avant Noël, uniquement à cause d’une « mesure de sauvegarde » dans la loi qui était plutôt mal conçue. D’innombrables autres personnes ont probablement dû prendre une décision semblable — nous connaissons leurs histoires — avant qu’on modifie enfin la loi.

Grâce à Mme Parker et au travail de sa famille, le gouvernement a finalement inclus dans la loi ce qu’on appelle aujourd’hui la « modification d’Audrey ».

Il s’agissait d’une première étape importante, car cette modification offrait une première forme de demande anticipée, mais, là encore, uniquement pour les personnes qui ont déjà été évaluées et qui sont admissibles à l’aide médicale à mourir, et uniquement lorsqu’elles sont très proches du terme de leur vie.

(1940)

Puis, une décision judiciaire clé a été rendue dans l’affaire Truchon et Gladu : Jean Truchon et Nicole Gladu ont intenté une action en justice pour obtenir l’aide médicale à mourir, mais leur demande avait été rejetée parce que leur mort n’était pas naturellement prévisible. Tous deux étaient atteints de maladies dégénératives qui leur causaient des souffrances persistantes et intolérables : M. Truchon était atteint de paralysie cérébrale et Mme Gladu, du syndrome de post-poliomyélite.

En 2019, la Cour supérieure du Québec a reconnu que la condition préalable était inconstitutionnelle. Elle a demandé au gouvernement du Québec et au gouvernement fédéral de donner suite à sa décision. Il s’agit d’une décision très importante, car elle supprime la nécessité que la mort soit « raisonnablement prévisible », ce qui crée en quelque sorte un système à deux volets pour l’accès à l’aide médicale à mourir : un premier pour les cas où la mort est imminente et un second pour les cas où la mort est inévitable, mais n’est pas prévisible.

Chers collègues, c’est dans ce contexte que j’ai proposé une modification à la loi, puis présenté le projet de loi visant à autoriser pleinement les demandes anticipées. J’espérais étendre le droit à une demande préalable aux personnes dont la mort n’est pas imminente, mais inévitable, et accorder aux Canadiens le droit de choisir une fin de vie planifiée et paisible. Pourquoi ne pas offrir ce choix aux gens qui sont pris dans un monde de souffrance ou qui ont reçu un diagnostic de démence, qui les prive de leur droit de prendre des décisions concernant leur fin de vie?

Il y a 1 000 boomers chaque jour qui atteignent l’âge de 65 ans. D’ici 2031, ils seront 1 000 ou plus à atteindre l’âge de 85 ans chaque jour. C’est le quart de la population. L’augmentation de l’espérance de vie s’accompagne d’un nombre de plus en plus élevé d’années à vivre avec une invalidité liée à l’âge. La médecine moderne a rallongé notre vie, mais elle a également fait de nous des victimes des traitements excessifs, qui, trop souvent, sont plus axés sur la durée de vie que sur la qualité de vie.

Une des catégories où la question de la demande anticipée est fondamentale est celle des personnes qui subissent un déclin cognitif, qui réalisent qu’ils se dirigent lentement vers une perte de contact avec la réalité, vers ce qu’on pourrait qualifier de mort lente, la démence. Un Canadien sur quatre de plus de 85 ans est atteint de démence. Pendant des années, la loi disait que, dès que le diagnostic était obtenu, une personne n’était plus apte à prendre des décisions. Nous savons que ce n’est pas le reflet de la réalité, mais c’est l’impasse dans laquelle la loi nous place.

De nombreuses personnes atteintes de différentes formes de démence, comme la maladie d’Alzheimer, n’ont toujours pas accès à l’aide médicale à mourir, parce que l’on considère que le moment de leur mort n’est pas raisonnablement prévisible. C’est pour cette raison que la question du moment opportun est si importante et que nous devons examiner à quelle fréquence les demandes anticipées doivent être mises à jour. Nous devons pouvoir faire des choix éclairés avant de perdre nos capacités. Cela nous donnerait au moins un peu de contrôle à un moment de notre vie où, bientôt, nous n’en aurons plus du tout.

Lorsqu’on perd la mémoire, on perd son identité. On perd les amis qu’on ne reconnaît plus et la famille qu’on aime. On perd le sentiment d’être aimé. Surtout, on perd le sens de qui on est — qui on était vraiment, ce qu’on a accompli et les vies qu’on a touchées — et on perd l’amour et le respect qui étaient autrefois si librement offerts. Tout cela est toujours là, mais on ne peut plus ni le reconnaître ni le voir.

C’est exactement ce qui s’est passé avec ma mère. Elle était enseignante, elle a changé des vies et elle a sauvé des vies. Elle était un modèle avant même que nous utilisions cette expression. La voir décliner était déchirant. Elle a cessé de se souvenir de ce qu’elle avait accompli pendant tant d’années et pour tant de personnes. La perte de la mémoire est brutale. C’est un déni de notre existence de personnes valorisées ayant joué un rôle dans la vie des autres. C’est une peine cruelle et inusitée.

D’aucuns diront que nous ne pourrons jamais vraiment savoir ce qui se passe dans la tête des personnes atteintes de démence ou de la maladie d’Alzheimer. Il peut y avoir des moments de lucidité ou de reconnaissance, et on pourrait penser que si les personnes sont heureuses et qu’elles tapent du pied à la séance de musique hebdomadaire, c’est qu’elles ont une certaine qualité de vie. Dans les résidences pour aînés, on parle de démence heureuse. Malheureusement, c’est surtout nous qui voulons nous sentir mieux pour l’être cher, car, quelques instants plus tard, la peur peut à nouveau l’envahir jusqu’à ce qu’il devienne désemparé.

Ma mère ne pouvait pas exprimer ses désirs ni ses besoins comme l’avait fait mon père à la veille de son opération, et c’est là l’injustice inhérente à un diagnostic par rapport à un autre — ce fameux cercle vicieux. Comme nous en avions si souvent discuté, elle n’a jamais voulu d’une vie dépourvue de sens ou sans conscience de sa famille, de son histoire, de son passé et de sa propre histoire.

Dans notre pays, des familles doivent affronter cette crise tous les jours. Les Canadiens atteints de maladies incurables ou irréversibles souffrent inutilement dans leur lit d’hôpital ou dans des établissements de soins. Ce qui est encore plus triste, c’est qu’ils souffrent parfois accompagnés d’êtres chers, mais qu’ils ne reconnaissent plus, et qu’ils souffrent donc seuls et dans la peur. Le pire de tous les destins est de ne plus savoir qui on est ni qui on a été.

Il est donc temps d’être courageux, d’accepter les choix des personnes que nous aimons et de leur donner — si et seulement si elles le souhaitent — le droit de nous quitter dans la dignité, comme elles ont vécu et aimé dans la dignité. Je vous demande d’examiner ce projet de loi avec votre tête et votre cœur et de le renvoyer à nos collègues du comité pour qu’ils puissent l’améliorer dans les meilleurs délais. Merci.

Des voix : Bravo!

[Français]

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Merci beaucoup de votre discours. Effectivement, c’est une question extrêmement difficile.

Vous avez fait allusion au Québec, qui a légiféré sur cette question. Justement, l’adoption de cette loi a suscité un grand débat au Québec. Plusieurs médecins ont commencé à remettre en question cette idée du consentement à une mort future en disant qu’ils n’étaient pas capables d’évaluer une personne qu’ils n’avaient pas connue avant la maladie. Ils se disaient incapables de mesurer le consentement, quelques années plus tard, d’une personne qui vit un Alzheimer heureux, comme vous le dites, ou qui ne semble pas lui poser de problèmes.

Je comprends que vous avez dit dans votre discours que le consentement est donné bien avant. Cela pose toutefois un problème éthique pour des médecins qui ne connaissent pas forcément cette patiente plusieurs années plus tard. Ils ne peuvent pas tout simplement dire : « Alors voilà, je suis ici pour exécuter un contrat sans poser un jugement médical. »

C’est un vrai débat qui a eu lieu au Québec. Je ne vous dis pas qu’il y a eu résolution, mais cela soulève la question du délai entre la signature et la mort.

[Traduction]

La sénatrice Wallin : Tout d’abord, le gouvernement du Québec a demandé aux procureurs de la Couronne de ne pas engager de poursuites du fait que cette question relève du Code criminel. C’est précisément pour cela que nous essayons de la traiter. Nous voulons protéger les personnes qui s’engagent dans cette voie.

Je dois dire que je connais de nombreux professionnels de partout au pays qui administrent l’aide médicale à mourir. Leur vie n’est pas facile. Ce n’est pas un geste facile. Ils le font parce qu’ils sont compatissants, parce qu’ils se soucient des autres et parce qu’ils ont promis d’administrer les soins appropriés aux personnes qui en ont besoin.

Je crois que l’enjeu est encore plus crucial qu’auparavant à cause des questions concernant le moment de la demande. J’en ai discuté avec de nombreux experts en éthique, des professionnels de la santé et les membres de familles qui ont vécu cette situation et en ont discuté entre eux.

(1950)

Il ne s’agit pas seulement de laisser une note lorsqu’on a 29 ans sur laquelle on a écrit : « Je ne veux pas vivre quand je serai vieux ». Nous ne comprenons pas à cet âge. Bon nombre d’entre nous sommes bien plus près de devoir prendre cette décision qu’à l’époque où nous pensions qu’on est vieux à cet âge. Aujourd’hui, nous ne pensons plus la même chose.

Ce sont des questions dont nous devons débattre : celles de savoir quand et comment. Il est clair qu’on m’a conseillé, en raison de ma situation personnelle, d’avoir cette discussion avec ma famille, des professionnels de la santé et des juristes. On nous recommande aussi d’informer le plus grand nombre de personnes possible de notre décision afin d’avoir des témoins si on déménage dans une autre province ou s’il nous faut changer de médecin parce que le nôtre est parti à la retraite. Ces enjeux sont tous réels.

C’est la raison pour laquelle il faut une documentation continue pour appuyer la demande, qui prouve que ce n’est pas une décision impulsive, qu’elle n’est pas le résultat d’une mauvaise journée ou qu’elle n’a pas été influencée par un tiers. C’est un processus. Je crois que plus quelqu’un met des mots sur ce sentiment, plus il en parle aux membres de sa famille et à des professionnels, plus la famille sera rassurée, plus il pourra espérer que son souhait sera respecté, et plus les responsables sur le plan juridique auront l’assurance de faire la bonne chose. Même s’ils ne connaissent pas la personne, ils auront l’historique documenté de sa décision; ce sera consigné. Cela leur donnera l’assurance qu’ils font la bonne chose et qu’ils fournissent à leur patient les soins qu’il a demandés, même s’il s’agit pour eux d’un nouveau patient.

L’honorable Paula Simons : Sénatrice Wallin, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Wallin : Oui.

La sénatrice Simons : Comme vous le savez, j’ai appuyé votre amendement quand nous avons débattu de l’élargissement de l’accès. En vous écoutant ce soir, je me souviens du jour où j’ai emmené ma mère passer un test, et elle a reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Ma mère était une femme brillante et pleine d’esprit, et elle a dit : « Eh bien, je voudrais l’aide médicale à mourir, alors. » J’ai dû lui expliquer que ce n’était pas une option et que cela ne le serait jamais.

Elle est morte, hurlant de terreur et de douleur, dans une souffrance insupportable. J’étais incapable de lui expliquer pourquoi elle devait endurer cela et cela me hantera jusqu’à la fin de mes jours. Pourtant, je ne sais pas à quel moment au cours des cinq dernières années de sa vie nous aurions pu dire : « Bon, c’est aujourd’hui. C’est aujourd’hui que cela devient insupportable. C’est aujourd’hui que nous, en tant que famille, devons prendre une décision. »

Je suppose que c’est ma question. C’est plus facile dans le cas d’une personne qui meurt d’un cancer et qui craint de perdre la capacité de donner son consentement. Comment déterminer le moment où la vie d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer est considérée comme insupportable?

La sénatrice Wallin : Merci, sénatrice Simons. Je ne pense pas que l’on puisse dire que le jour J est le lundi — quelle que soit la date d’aujourd’hui. C’est pourquoi il y a la notion de demande anticipée : pour parvenir à une conclusion de principe.

J’ai déjà parlé dans cette enceinte de Ron Posno, un homme de London, en Ontario, que j’ai appris à bien connaître. Cet homme a accompli des choses extraordinaires dans sa vie. Il a été enseignant, pilote et plongeur sous-marin. Lui et son épouse, Sandy, vivent actuellement dans un centre de soins de longue durée, car il a reçu très tôt, en 2016, un diagnostic de troubles cognitifs. À partir de ce moment, il est devenu un fervent défenseur de l’aide médicale à mourir et des directives anticipées. Il a accordé des entretiens partout, dans des balados, y compris le mien, et dans des documentaires.

Il s’est mis à l’œuvre parce qu’il savait que son sort était inévitable, comme vous le saviez pour votre mère et comme je le savais pour la mienne. Il a rédigé une liste de huit conditions déterminantes. Cette liste l’a aidé à préciser ses idées, et elle m’a permis d’en faire autant au fil des ans. La voici : lorsque je serai incapable de reconnaître des membres de ma famille, des fournisseurs de soins ou des amis, ainsi que de réagir à leur présence d’une manière appropriée et réfléchie; lorsque je deviendrai constamment violente, verbalement et/ou physiquement; lorsque je me perdrai fréquemment ou que j’errerai sans savoir où je suis; lorsque j’aurai besoin d’être physiquement immobilisé ou enfermé; lorsque je présenterai des symptômes de dépression, de paranoïa, de mélancolie ou de mutisme électif; lorsque je souffrirai fréquemment d’hallucinations visuelles, auditives, olfactives ou tactiles; lorsque j’aurai besoin de soins personnels assistés, car je serai souvent incontinente; lorsque je n’arriverai pas à manger, à me nettoyer ou à m’habiller sans aide.

C’est ce qu’il nous invite à faire. Nous ne pouvons pas savoir quand sera le jour J. Nous le saurons en fonction de notre état. Si nous remplissons une combinaison ou la totalité de ces conditions — Dieu nous en garde —, nous saurons que le moment est venu. Ron nous a rendu ce service. Il a fait ses devoirs, et il a affirmé ceci :

Réfléchissez-y. Créez votre propre liste. Utilisez la mienne. Aidez votre famille. Aidez les professionnels de la santé, car ils sont en mesure d’évaluer ces conditions. Les employés des établissements de soins de longue durée peuvent évaluer ces conditions.

Il existe un moyen de ne pas connaître le moment précis, sauf que nous avons également appris de l’expérience de ceux qui ont dû mettre fin à leurs jours, des personnes qui se sont jetées dans le lac Ontario. Je pense aussi à Audrey, qui a pris cette décision avant Noël, au sein de sa propre famille, parce qu’elle ne voulait pas vivre cette situation ou la faire subir à sa famille une année de plus, et c’était si près d’arriver. Toutefois, si elle avait perdu la capacité de dire « maintenant », ou de dire « je consens, j’accepte », alors il aurait été trop tard.

Pourquoi ne laisser aux gens que le choix de s’enlever la vie? Pourtant, nous pouvons dire clairement à nos familles, à nos proches, aux avocats, aux professionnels de la santé, à la société et au monde ce qui suit :

Nous savons quand nous n’avons plus de qualité de vie. Nous savons quand la vie n’a plus de sens. Nous savons quand nous avons perdu notre identité. Je vous en prie, laissez-moi avoir recours aux choix prévus dans la loi et en bénéficier.

Je pense que c’est là le cœur de la question.

L’honorable Denise Batters : Sénatrice Wallin, lorsque vous avez présenté ce projet de loi, en 2022, je vous ai posé une question au sujet des témoins indépendants qui, selon votre projet de loi, devaient certifier la déclaration faite par la personne qui souhaite obtenir l’aide médicale à mourir.

À ce moment-là, je vous ai demandé une définition du terme « témoin indépendant », mais vous n’aviez pas de réponse définitive à me donner. Étant donné que vous proposez en bonne partie le même projet de loi, j’ai vérifié les dispositions connexes du Code criminel, et j’y ai trouvé la définition de « témoin indépendant ».

La question que je vous pose aujourd’hui est donc la suivante. En ce qui concerne ces témoins indépendants, votre projet de loi dit, à l’alinéa 3.22e), qu’il faut respecter la condition suivante : « [...] un médecin a certifié que [...] (iii) chaque témoin est indépendant conformément au paragraphe (5) ». Il s’agit là des dispositions du Code criminel concernant les témoins indépendants.

Cette définition comprend certaines choses que le médecin serait probablement en mesure de vérifier, mais je pense qu’il y a certaines choses qu’il ne serait pas nécessairement en mesure de certifier. Par exemple, il doit déterminer si la personne :

a) [...] sait ou croit qu’elle est bénéficiaire de la succession testamentaire de la personne qui fait la demande ou qu’elle recevra autrement un avantage matériel, notamment pécuniaire, de la mort de celle-ci [...]

Il y a quelques autres éléments pour lesquels je suis moins sûre de savoir s’il faut faire appel au témoin indépendant ou si le médecin est la bonne personne pour les certifier. J’aimerais connaître votre avis à ce sujet.

La sénatrice Wallin : Les circonstances et les changements législatifs, l’affaire Truchon et les mesures prises au Québec nous ont amenés là où nous en sommes aujourd’hui, et je pense que tout cela va modifier l’étude et la réponse du comité, voire les définitions. C’est pourquoi j’ai présenté les choses ainsi, c’est-à-dire qu’il faut se pencher sérieusement sur cette question.

(2000)

Nous ne sommes pas ici pour la facilité, mais pour faire les choses difficiles. Nous devons trouver la bonne voie à suivre.

Les médecins sont toujours assujettis au Code criminel du Canada. Ils doivent bénéficier d’une sécurité et d’une protection adéquates. Ils doivent pouvoir disposer d’autres sources d’information, en particulier s’ils ne connaissent pas le patient ou la personne concernée, pour une raison quelconque. Voilà pourquoi il est si important de constituer un dossier au fil du temps. S’il n’y a qu’un seul survivant qui va hériter de plusieurs millions de dollars, il doit y avoir d’autres preuves à l’appui.

Je connais des situations où un époux et deux enfants se sont littéralement retrouvés de trois côtés de la question, plutôt que deux. Il est impossible de prédire, d’anticiper ou d’empêcher ce qui va se passer. Les personnes qui ont convenu avec leur mère, avec leur proche, qu’elle pouvait faire ce qu’elle voulait, quand elles en arrivent là, quand le moment arrive, elles perdent leur volonté et leur capacité de participer à la situation. La personne concernée doit également être protégée dans cette situation.

Mes deux principales préoccupations sont la personne qui a fait cette demande et la personne qui doit y répondre. Nous devons trouver toutes les façons possibles de les protéger toutes les deux, afin que le patient obtienne ce dont il a besoin et que le prestataire soit protégé. Il en sera ainsi jusqu’à ce que nous retirions ce type de question du Code criminel et que nous en fassions une question de soins de santé.

Compte tenu des circonstances, le Québec a fait de son mieux en demandant à ses procureurs de ne pas engager de poursuites. Ce n’est pas une bonne solution. Nous devons vraiment dire qu’il s’agit ici de la vie. Il s’agit de la fin d’une vie. Nous devons donner aux gens, j’y reviens sans cesse, le pouvoir de décider sur leur vie, et non les coincer dans une situation où ils doivent mettre fin à leurs jours dans des conditions horribles ou faire des réserves de somnifères. J’ai entendu tellement d’histoires à ce sujet que cela me rend malade.

Donnons ce choix aux gens. Protégeons toutes les personnes impliquées. Quel que soit le processus que nous mettrons en place, celui que nous jugerons le meilleur et que nous recommanderons, ce sera un pas en avant.

Je voudrais présenter un projet de loi visant à supprimer définitivement cette disposition du Code criminel. C’est une chose compliquée à faire. J’ai eu cette conversation avec les légistes plus souvent que je ne le souhaiterais.

Nous devons continuer à réaliser des progrès. Dans ce pays, la seule raison pour laquelle les gouvernements agissent et modifient la loi, c’est quand un tribunal intervient, lorsqu’une famille traverse une situation tragique ou difficile, qu’il s’agisse du cas d’Audrey Parker, de l’affaire Truchon ou de l’affaire Carter. Nous avons en mémoire Sue Rodriguez et même, dans notre propre province, l’affaire Robert Latimer.

Notre hésitation à prendre des décisions courageuses en tant que législateurs place certains de nos concitoyens dans des situations difficiles. Nous devons vraiment nous atteler à la tâche et faire quelques petits progrès vers le libre choix.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

(À 20 h 5, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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